Nous vivons une période difficile où pour survivre un diktat fuse de toute part. C’est une injonction si puissante qu’il ne viendrait à l’idée de personne de déroger. Elle nous dit que tous, nous devons prendre nos responsabilités. (1)
Si chacun prend ses responsabilités, nous voilà tous responsables de notre avenir.
Et nos gouvernants sont exonérés de ce qui va se passer. Ouf ! (2)
Mais comment prendre ses responsabilités ? Il faut les prendre fermement et par surprise. C’est mieux de les prendre à bras le corps et à mains nues. Vous serez pardonnés si vous les prenez par traitrise. Au besoin aidez-vous d’un tuto sur YouTube.
« C’est quoi notre responsabilité ? » Dites ! Ne vous foutez pas du monde ! Tout le monde sait ça ! C’est une réponse habilitée ! (3). Et vous devez la prendre avant que des beuzenets ou des mandrins ne vous la chipe et ne s’en fasse un masque de carnaval ou pire : des gorges chaudes (4). Ça n’est tout de même pas bien compliqué, de dzou !
Mais que signifie « prendre ses responsabilités » me demande-t-on ? Alors là, vous exagérez ! C’est simple à comprendre : il s’agit ni plus ni moins de faire strictement ce qu’aurait fait celui qui vous fait cette demande. Aidez-vous de ChatGPT ! Ou de votre horoscope ou du bulletin météo.
Dites-don vous là-bas ! Oui vous avec votre ticket à gratter ! Vous les avez pris vos responsabilités ? Menteur ! Expliquez-moi pourquoi il en reste tant si vous les avez prises ? Je vais vous demander de vous les attacher autour du cou pour que je puisse vous compter.
Et vous ? Bon admettons ! Mais vous en reprendrez bien un peu ! C’est comme l’omelette norvégienne, ça glisse tout seul… Vous n’allez tout de même pas me laisser ça !
Le réveil a sonné (5). Je me suis réveillé avec un gros mal de tête. J’ai pris un Doliprane pendant qu’on en trouve encore.
Notes pour éclairer à jour frisant les incertitudes du texte :
(1)- Si on l’a entendu souvent cette phrase : « chacun doit prendre ses responsabilité » ! Responsabilité, dans le dictionnaire, se trouve coincé entre resplendir et resquiller. C’est déjà tout un programme… Responsable apparait dans notre langue en 1284. Il a le sens de se porter garant. D’abord juridique au temps de la féodalité, le terme prend un sens politique au XVIIIème siècle. En 1733 ce mot fait une mauvaise rencontre : il croise l’anglais responsability. Ce mot anglais a été emprunté au vieux français, sorti d’usage, responsible. Dès lors la « responsabilité » fait fureur et devient un gargarisme omniprésent dans les discours de nos tribuns et un poncif abonné de nos gazettes. En 1788, l’adjectif responsable prend le sens « d’obligation de répondre de ses actes ». Il était temps : nous étions quatre ans avant l’adoption par l’Assemblée législative de la guillotine.
(2)- Imagine-t-on aujourd’hui que « ouf ! » fut d’abord « hauf ! » en 1548 puis « of » en 1579 et ouff en 1642. Une longue hésitation pour cette onomatopée qui au début exprimait une douleur brutale puis une sensation d’étouffement. Il nous reste de cet étouffement la locution du XIXème siècle : « sans avoir le temps de dire ouf ».
Comme dit un verlan de mes amis : c’est ouf cette histoire…
(3)- Réponse habilitée peut-être mais on ne peut s’empêcher de se demander quelle question a provoqué une telle réponse… On trouve sur Internet cette citation hélas anonyme : « Dans la stratégie du coup de pied au cul, il faut toujours s’interroger sur
la responsabilité des fesses ».
(4)- « Faire des gorges chaudes » est l’une de nos plus anciennes expressions. Rien à voir avec les gorges déployées et pas plus avec les gorges profondes. Néanmoins il vous faudra un peu de maitrise de vos émotions pour ingurgiter l’origine de cette expression.
Faire des gorges chaudes c’est faire des plaisanteries malveillantes sur un individu, une situation, des commentaires. La malveillance n’est pas obligatoire mais elle est vivement recommandée car les gorges chaudes ne vont jamais dans le sens du poil.
La fauconnerie, la chasse au vol, fut une passion française. Elle eut un tel prestige dans toutes les classes de la société qu’elle donna plus de 850 mots et expressions à notre vocabulaire depuis le XVIème siècle. Aujourd’hui la conscience collective a évolué et la fauconnerie comme la tauromachie ou les débats à l’Assemblée ont évolué.
On a oublié que « donner le change » c’est le mouvement d’un gibier qui pour s’échapper vous rapproche d’une autre proie, que « l’entregent » c’est le moment de l’affaitage, de l’éducation du rapace, où l’on met l’oiseau parmi les gens pour l’habituer à la vie parmi la foule.
On a oublié que « débonnaire » désigne une proie venue d’un riche territoire, promesse d’un fumet délicat. On ne sait plus qu’un individu « hagard » exprime le même désarroi qu’un oiseau de haut-vol capturé à l’âge adulte.
Faire des gorges chaudes en fauconnerie c’est récompenser un rapace qui a bien travaillé en lui donnant une proie vivante encore chaude ou récemment estourbie.
(5)- Si nos réveils d’aujourd’hui nous proposent un bruit désagréable à plus d’un titre, le réveil fut jadis en art militaire une batterie de tambour, une sonnerie de clairon dont la musicalité ouvragée annonçait une merveilleuse journée sous les ordres. Tout se
perd.