C’est un bout de papier qui matérialise un ressenti de plus en plus pressant depuis quelques années. Celui d’une France que l’on croyait disparue et qui en réalité se terre dans les bas-fonds de notre territoire ou d’internet. Dans la nuit du 9 au 10 juin, la commune de Clairvaux-les-Lacs (39) a été victime d’une distribution infâme de tracts nazis, déposés dans chacune des boîtes aux lettres du village. Un document qui reprend les codes antisémites du IIIe Reich, avec une phrase : « Homme blanc, tu en as assez de voir les Juifs détruire ton pays par l’immigration, la dégénérescence pedo-LGBT et la guerre ? Rejoins-nous pour rétablir la domination de la race blanche ».
Quelques jours plus tôt, la même distribution avait eu lieu dans plusieurs mairies du Finistère, en Bretagne. Des actes qui prouvent que cette menace ultranationaliste est aujourd’hui organisée et ne se cache plus. « J’ai eu une forme de nausée sans pour autant être étonné. Il y a des signaux inquiétants, les services de renseignements français suivent cette évolution depuis plusieurs années. Le contexte socio-politique et économique actuel participe à cette montée de l’ultra-droite. On parle beaucoup de laïcité, de valeurs de la République mais le « faire nation » est malmené par les différents communautarismes et replis identitaires. Il ne faut pas banaliser ce genre d’actes », confie Jean-Michel Blanchot. L’homme sait ce qu’a été le nazisme et la persécution des juifs durant la Seconde Guerre Mondiale. Professeur d’Histoire-Géographie à Morteau, président du Souvenir Français local, il effectue aussi un gros travail de mémoire comme conférencier sur les faits religieux et la Shoah. Alors quand l’antisémitisme, la xénophobie et l’homophobie ressurgissent de la sorte dans la région, l’historien appel à faire front. Et s’étonne aussi du peu de réactions des pouvoirs publics. Si le drame d’Annecy (voir édito) a monopolisé l’actualité, ils étaient très peu à avoir réagi à l’acte odieux de Clairvaux-les-Lacs. Une inquiétante banalisation grandissante.
5 personnes arrêtées en 2011, 64 en 2021 selon Europol
La distribution de tracts antisémites est régulière dans l’hexagone, néanmoins les actes antisémites, néonazis ou liés à l’ultradroite s’intensifient en Franche-Comté depuis 2021. A Besançon, un groupuscule néonazi composé majoritairement de jeunes hommes, enchaîne les actions pour gagner en visibilité. Certains de ses membres font partie de quatre militants d’extrême-droite condamnés depuis deux ans par le procureur Étienne Manteaux, comme le rappelle l’Est Républicain dans son enquête publiée le 13 avril 2023. « Ça n’est pas un épiphénomène, mais une réalité », confiait le procureur au quotidien. La maire Anne Vignot avait été également ciblée par des appels au viol, suite à l’affaire du whitefacing de la statue de Victor Hugo. Une violence confirmée par un premier rapport de la commission européenne en 2021 : Les manifestations contemporaines de l’extrémisme violent de droite dans l’UE : présentation des pratiques de prévention et de lutte contre l’extrémisme violent.
Les arrestations pour des faits de terrorisme liés à l’ultradroite sont en constante augmentation depuis 2011. Selon Europol, cinq personnes auraient été arrêtées en 2011, 34 en 2014, 44 en 2018 et 64 en 2021. La France fait partie des pays où l’augmentation est la plus forte : 29 arrestations en 2021, contre 5 en 2020 et 7 en 2019. « Il y a un phénomène de générations qui est en train de se jouer et s’ajouter aux difficultés actuelles. Une déshérence relative autour du devoir de mémoire qui profite à ceux qui veulent réviser l’histoire », analyse Jean-Michel Blanchot, le professeur d’Histoire à Morteau. « Les politiques ont une responsabilité là-dessus. Quand vous voyez ce qu’il se passe avec le Fond Marianne, créé pour soi-disant promouvoir les valeurs de la République et lutter contre les discours séparatistes et son utilisation réelle, la défiance du grand public envers les politiques s’accentue et certains se tournent vers ces mouvances. Parallèlement, une autre partie de la population est très concernée et solide sur ces questions. Nous avons récemment inauguré une stèle dans le Val de Morteau en hommage aux passeurs qui ont sauvé des Juifs et joué un rôle essentiel durant la Second Guerre Mondiale. Localement, beaucoup de monde a pris conscience de l’importance d’un tel souvenir. C’est très naïf de ma part, mais je reste persuadé que l’éducation et l’enseignement sont des piliers pour ne pas laisser cette ultradroite grandir. »
À Clairvaux-les-Lacs, la maire Hélène Morel-Bailly a déposé plainte et le procureur est saisi pour une enquête afin de retrouver le dépositaire de ces tracts. L’un de ses créateurs, lui, est en fuite : Boris Le Lay, militant de l’ultradroite française antisémite notoire et néonazi. Condamné à multiples reprises notamment pour provocation à la haine raciale, ce breton d’origine fait l’objet d’une fiche S et d’une notice rouge de la part d’Interpol depuis 2018. Pour éviter la case prison, l’homme s’est enfui au Japon et continue en toute impunité d’alimenter son immonde idéologie avec notamment ces tracts disponibles en deux clics sur internet. Tout comme les outils pour lutter contre cette dangereuse évolution. Le Camp des Milles près d’Aix-en-Provence est l’un des sites mémoriels de la Shoah des plus connus. Son petit manuel de survie démocratique permet de mieux comprendre la fabrique de telles idéologies et offre la possibilité de les combattre (il traite également de la haine anti-musulman, par exemple). « Si l’on regarde de plus près on est déjà à un stade avancé, poursuit Jean-Michel Blanchot. Il n’est jamais trop tard pour combattre ces idées, se taire est plus grave ».
M.S