Pour célébrer dignement le centenaire de la naissance de votre mari, lauréat du prix Goncourt en 1968 pour le roman Les Fruits de l’hiver, des manifestations auront lieu dans toute la région jusqu’à la fin de l’année. Pourriez-vous nous en parler ?
La première association à s’être vraiment manifestée, ça a été le Chat Perché à Dole, qui fait le Week-end Gourmand. En 2023, Bernard Clavel sera l’invité de Marcel Aymé. Donc ce sont vraiment eux qui se sont d’abord manifestés et, avec la petite équipe fondatrice de LireClavel, on leur en est très reconnaissant.
Petit à petit, les choses se sont presque faites d’elles-mêmes. Il y a en effet, des tables rondes, des conférences, mais il y a aussi des randonnées sur les traces des personnages de Clavel par exemple.
Il y a à Lons-le-Saunier des lectures du Royaume du Nord par l’association Pages 27. Tout le village de Château-Chalon, de début mai à la fin octobre, va être à l’heure de Clavel.
Donc Bernard Clavel sera l’invité de Marcel Aymé. D’ailleurs, il semblerait qu’il l’admirait, n’est-ce pas ?
Bernard avait une admiration pour Pasteur et pour Marcel Aymé. Je me souviens que quand je l’ai connu, en 1977, j’étais son attachée de presse au Québec. La première émission qui était un direct assez tôt le matin, c’était une entrevue où il a parlé de Marcel Aymé.
Il a déclaré à l’intervieweuse ; « Si vous voulez savoir, ce que c’est que d’être romancier, plutôt que de lire des tas d’ouvrages savants, il faut lire la nouvelle ; Le Romancier Martin qui est dans le recueil de nouvelles Derrière chez Martin. » C’est parmi les premières phrases que j’ai entendues.
Bernard était un très grand admirateur de Pasteur. J’essayais de le pousser à faire une biographie de Pasteur. Il me disait toujours : « Mais je ne suis pas un scientifique ». Je lui disais : « Il faut l’aborder d’une manière différente ». Il y avait un embryon de projet autour de Pasteur.
Né dans une famille très modeste, Bernard Clavel a quitté l’école à quatorze ans et a suivi un apprentissage de pâtissier à Dole. Il s’est ensuite formé en autodidacte…
Il disait que son apprentissage lui a tout appris. L’apprentissage, au fond, c’est une école de la vie en accéléré. Et puis, il s’est fait petit à petit au hasard des rencontres.
Sa bibliothèque de travail, c’est une bibliothèque d’autodidacte. Les livres sont marqués, soulignés. C’était un amoureux des dictionnaires. Il a appris la langue dans les dictionnaires.
Comme il a pratiqué beaucoup de métiers (polisseur de verre de lunettes, pâtissier, vigneron…), il avait un sens de l’outil, du geste. Rien ne sonne faux quand il se met dans la peau d’un vigneron par exemple. Il a tout le vocabulaire.
Outre l’écrivain, Bernard Clavel était un homme engagé. Que peut-on en dire ?
Tout le monde découvre la modernité de son œuvre. Les thèmes qu’il aborde bien sûr, toute la partie « écologique », la guerre, les pandémies.
J’ai été contacté récemment par l’association Terre des Hommes. Ils célèbrent cette année les soixante ans de la création et ils voudraient matcher Clavel et Terre des Hommes. Dès les débuts, il a été très actif dans cette association.
À l’origine, Terre des Hommes accueillait des enfants physiquement détruits par la guerre. Ils les ramenaient en Suisse pour les faire soigner et ensuite ils les rendaient à leur famille. Bernard a participé, à l’époque il habitait Château-Chalon, il a accueilli ce petit Maé dont il m’a beaucoup parlé. C’est certainement une des causes qui a le plus marqué et touché Bernard.
Vous avez rencontré Bernard Clavel au Québec en 1977, puis vous vous êtes mariés au début des années 1980. Vous me disiez que vous travailliez avec votre mari conjointement. Quelle était votre part dans tout ça ?
Elle était multiple. Évidemment, elle est allée en grandissant. D’abord, on vivait plus dans les personnages dits imaginaires que dans la vraie vie.
Le matin, en prenant le petit-déjeuner, on se levait très tôt et on parlait des personnages. Et, quand il commençait à écrire quelque chose, j’étais déjà au courant de ce qu’il souhaitait écrire. Il m’apportait toujours les premières pages. C’est devenu de plus en plus lourd pour moi, parce qu’il voulait savoir ce que j’en pensais.
Des fois, il mettait cinq ou six fois à trouver la voie. Il se fiait entièrement à moi pour ça et quand ça n’allait pas, c’était terrible. Plus ça allait, plus il doutait de lui.
Pour certaines choses, je lui donnais des sujets. On tricotait ensemble, mais c’est lui qui écrivait. Il y a des choses qu’il corrigeait peu, mais il y a des manuscrits par exemple Maudits sauvages qui est le dernier tome du Royaume du Nord, qui doit faire à peu près 500 pages, il l’a réécrit six fois !