Mal léché

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1969
Gérard Bouvier.

J’entendais sur nos ondes hertziennes, qualifier l’un de nos ministres « d’ours mal
léché ». Je tairai son nom par respect pour sa famille qui ne doit pas rigoler tous les
jours et aussi pour ne pas allonger inutilement cette rubrique qui est contrainte dans
un espace de 1500 caractères espaces compris… (1) Guère plus. Et c’est bien peu
pour une denrée de cette qualité. Par ailleurs dévoiler son nom serait mesquin et
n’apporterait rien à ce travail déjà très fouillé. Aussi, restons-en là ! C’est plus
courtois et c’est tout à notre honneur…
Mais l’expression mérite quelques explications.
Elle date du XVIIème siècle et nous explique que l’ours à sa naissance parait brut de décoffrage, rustre et grossier, et ne prend vraiment une allure fréquentable de
peluche made in Taiwan qu’après que sa mère (2) l’ait longtemps léché. On sait que
les ours, comme les Ursula et les Ursule (3) ont la langue bien pendue.
Autant dire qu’un ours mal léché n’est ni fait ni à faire, bien loin de l’image de
nounours doudounant que l’on attend d’un ministre de la République.
Le renard est rusé, la pie est bavarde, l’âne est bâté (4) … Et l’ours est mal léché. Il
en est ainsi dans notre bestiaire et il est difficile d’échapper à ces estampilles injustes
mais formelles.
Nos voisins anglais n’ont pas d’ours mal léché. Mais ils n’en souffrent pas car ils
évoquent en lieu et place une personne « bourrue et rugueuse sur les bords », les
espagnols « ont un cochon mal diné » (?) alors que leurs mitoyens portugais se
plaignent d’« une personne de mauvaises tripes ».
Au sens où nos boyaux et entrailles sont ce que nous avons de plus viscéral. Le
portugais ne manque pas d’humour car il ajoute de cet individu mal dégrossi qu’il est
« doux comme un requin qui a mal aux dents ».
Nous dirions : avenant comme une porte de prison.
Chaque culture se dépatouille avec son vécu.

Notes :

(1) – S’agissant d’un patronyme composé de deux noms accolés l’allongement
deviendrait déraisonnable. On le sait peu mais ces noms composés sont plutôt
une spécialité comtoise et savoyarde. Chez nous 3% des noms sont ainsi
doublés : Bailly-Maitre, Bailly-Salins, Benoit-Gonin, Benoit-Guyot, Vincent-Genod,
Poux-Berthe… On les trouve aussi d’un seul tenant quand une caractéristique
physique ou morale vient affubler un nom : Grandclément, Grostabussiat,
Maitrejean, Grandperret, Grospellier…

(2) – Nous sommes nombreux à ne voir dans la constellation de la Grande Ourse
qu’une grande casserole. C’est parce que notre regard se focalise sur les sept
étoiles les plus brillantes de cet astérisme. Mais si on les regarde de près (c’est
une façon de parler) et en complétant le dessin avec d’autres étoiles voisines
moins brillantes, il est vrai qu’on dessine une ourse.
Les américains l’appellent La Grande Cuillère, les romains l’appelaient Septem
Triones : les sept bœufs ce qui donna son nom au septentrion l’hémisphère nord
là où la Grande Ourse a ses quartiers. En Scandinavie, on l’appelle le wagon de
Charlemagne et au Royaume-Uni la charrue. On évite de la mettre avant les
bœufs et aussi de vendre la peau de l’ours.
Mais à quoi bon l’appeler, elle est toujours là, tournant autour du pôle Nord sans
jamais s’en éloigner à la différence de bien d’autres constellations qui
n’apparaissent que quand la saison s’y prête.
La mythologie grecque nous explique la scène de ménage qui fut à l’origine de la
Grand Ourse. Zeus, un fameux gaillu, s’était bien amouraché de Callisto, une
nymphe qu’ avait du bois derrière la grangée. Si par malheur vous n’êtes pas
comtois compter un 95 D. Il la trouvait bonne fille et bonne à marier quand il
rentrait de la foire à Longwy fin mâchuré… C’est qu’il avait le gosier en pente, le
bougre. Au début ils se mirent à se causer, ma p’tite rate par ci, ma p’tite rate par
là, mais bientôt ils prirent de l’avance en faisant Pâques avant les Rameaux.
Comme ce grand Badinguet de Zeus avait pris la mauvaise habitude de chenailler sans jamais faire à la retirotte, naquit Arcas la petite ourse. Héra la femme de
Zeus était jalouse comme pas deux et elle avait des fois les boules pour pas
grand-chose. Elle te prit mon Callisto et mon Arcas et envoya tout ce fourbi à
fiche perdre au fin fond du ciel juste en face. C’était très excessif mais, ne nous
plaignons pas, nous y gagnâmes deux belles constellations.

(3) – Il y eu 57 naissances d’Ursula en 1972 et seulement 3 en 2021.
Curieusement le prénom est surtout populaire dans les DOM-TOM pourtant pour
la plupart éloignés des régions qui abritent aujourd’hui les ours : la Russie, la
Scandinavie, les Balkans, les Carpates. Et donc certains ministères.
Les sites spécialisés nous disent que les Ursula sont des travailleuses acharnées
en demande de challenges et qui aiment se mettre au défi. Ce qui en dit long non
point tant sur les Ursula mais sur nos croyances et notre appétit pour les
balivernes, fariboles et billevesées.

(4) – Être bâté, c’est bien sûr porter un bât. L’expression qui laisse entendre que
l’âne est un animal stupide montre bien l’outrecuidance de l’homme capable de
faire porter 40 kg à un âne pendant 20 km par jour pour encore l’insulter à
l’arrivée au lieu de le goinfrer de carottes.
Heureusement, Victor Hugo a su remettre les choses au point en écrivant dans
Le roi s’amuse : Il n’est pas d’animal plus hérissé, plus sale et plus gonflé de vent,
que cet âne bâté qu’on appelle un savant. C’est un peu vigoureux, à peine trop
musclé mais sachez que vous ne serez pas savant après avoir lu cette rubrique.
En tout cas je vous le souhaite.