Faux bond

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Gérard Bouvier.

Dans une époque où l’on attend tant de l’autre il n’est pas rare qu’il nous fasse faux
bond 1 . La métaphore est athlétique mais elle nous cache une cruelle dégringolade.
Et elle donne à penser que, de n’avoir pas vu venir un faux bond, nous sommes un
vrai sot…
L’expression nous vient comme tant d’autres du jeu de paume, connu depuis
l’Antiquité mais surtout pratiqué chez nous du XIIIème au XVIIIème siècle 2 . Le faux
bond est devenu aujourd’hui un faux rebond dû à l’effet donné à la balle pour lui
donner une trajectoire déroutante qui nous échappe.
Le 22 juin 1397 le prévôt 3 de Paris interdit la pratique du jeu de paume « parce que
plusieurs gens de métier et autres du petit peuple quittaient leur ouvrage pendant les
jours ouvrables, ce qui était fort préjudiciable pour le bon ordre public ».
Heureusement l’interdit -comme souvent- ne fut pas respecté et chacun pu continuer
sa partie au grand « désespoir des autorités » dont c’était les premiers chagrins. Il y
en eu bien d’autres…
Au jeu de paume, pour « épater la galerie » il suffisait d’un coup gagnant qui coupait
les pattes, et donc épatait les spectateurs rattroupés sur la galerie en surplomb.
« Prendre la balle au bond » était un coup leste et apprécié parce que souvent
gagnant 4 . Le joueur défait restait aplaventré sur le terrain. Comme celui-ci était fait de
gros carreaux on disait qu’il « restait sur le carreau ».
On dit aussi « jeux de mains, jeux de vilains » parce que les pauvres, les manants,
les viles gens qu’on disait en ce temps « les vilains », jouaient à mains nues n’ayant
point les écus pour se procurer la raquette qui fit bientôt évoluer le jeu, le
rapprochant un peu plus du tennis que nous volèrent les anglais en brevetant ce
cambriolage en 1874. Damned !

Commentaires de l’auteur…

1-Faire faux bond c’est aussi poser un lapin. L’expression a jadis signifié partir sans
bourse délier après avoir bénéficier des faveurs d’une femme légère. C’est une façon
de dire car toutes ne l’étaient pas. On disait aussi « brûler paillasse ». Ce délit de
grivèlerie était immonde pour ne pas dire carrément cracra et il obligea toute une
profession à s’organiser pour faire payer ses loyaux services par avance. L’habitude
fut copiée et on en retrouve encore les traces dans divers commerces : les cinémas,
les cirques, et même à La Poste.
Le lapin a de tout temps fait référence au sexe de la femme. Au Moyen-Âge le lapin
était le connil comme le renard était le goupil et le robin était le mouton. Le connil
moyenâgeux a laissé dans notre langue le cunnilingus mais c’est une tout autre
histoire qu’on ne saurait raconter sans quelques dessins bien mal venus dans le
cadre étroit de cette rubrique. (Lire : « mal venus » et non pas mâle-Vénus).
Certains comme Lorédan Larchey (1831-1902) dans son dictionnaire d’argot ont cru
voir dans « poser un lapin » une allusion au lapin des tourniquets de foire qui parait
facile à attraper mais nous échappe toujours. J’t’en fiche !

2-Ce jeu fit fureur pendant plusieurs siècles chez nous. Il y avait de nombreuses
salles de jeu de paume dans les grandes villes. Beaucoup plus que de piscines et
c’était un hasard heureux car c’est bien plus tard que les gens apprirent à nager. Et
encore pas tous… Ce jeu est même entré dans l’Histoire (ce que ne fit ni la belote
coinchée ni la boule lyonnaise) lors du Serment du Jeu de Paume. Ce 20 juin 1789,
à Versailles dans la salle du jeu de paume 576 députés français prennent le nom
d’Assemblée Nationale. Ce fut le début des invectives.

3- Un prévôt est une sorte de Maire doublé d’une sorte de Préfet.

4-Le français Clergé 5 fut en 1740 le premier champion du monde du jeu de paume.
Aujourd’hui on appellerait plutôt un champion du monde Mbappé mais là nous étions
sous le règne de Louis XV. Merci d’en tenir compte. C’est la première fois qu’un titre
mondial était attribué pour une pratique sportive. Il conservera son titre pendant 25
ans. C’est énorme. Pour donner une idée Dagobert 1 -er ne fut Roi des Francs que
pendant 10 ans (629-639) ce qui est beaucoup moins.
À noter qu’il fallut attendre 1952 pour que le titre de Miss Univers soit décerné à la
Finlandaise Armi Kuusela qui y renonça bientôt pour épouser un magnat philippin
Virgilio Hilario. On aurait fait pareil. Ça n’a évidemment aucun rapport mais c’est
juste pour expliquer.

5- Aujourd’hui ce patronyme nous paraît curieux pour un champion qui a été
encensé, mais il est assez fréquent puisqu’on le retrouve 23 203 fois dans la base de
données du site de généalogie Geneanet.