Comment la Franche-Comté n’a pas perdu le Nord

Depuis une trentaine d'années, l'historien Paul Delsalle contribue à enrichir la connaissance de l'histoire de la Franche-Comté. Il propose notamment un regard neuf sur la période dite "espagnole", qui avait plutôt un penchant nordiste.

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Originaire de la région lilloise, Paul Delsalle raconte qu’il avait presque une prédestination pour venir vivre du côté de la Franche-Comté. Il se souvient d’un jour à l’école primaire « où nous devions reproduire les reliefs du Jura avec de la pâte à modeler. Là, je me suis dit : quand je serai grand, j’irai dans ce pays. Il y a eu d’autres coïncidences. J’étais scout et lecteur des ouvrages de la collection Signe de piste. Les Compagnons de la Loue de Jean Valbert, ça m’avait marqué ». Document : DR.
Le public a Salins-les-Bains. Lors d’une conférence du groupe d’études Franche Bourgogne consacrée au sel et au comté. Document : DR
Le pont Battant à Besançon. Gravure de Pierre d’Argent, datée de 1575, inspirée d’une gravure plus ancienne. Origine du cliché : l’édition de l’Atlas des villes du Monde, par Georges Braun, Cologne, 1617. Photographie de Paul Delsalle.

Arrivé en 1994 à Besançon pour enseigner l’histoire à l’Université de Franche-Comté, Paul Delsalle tire sa révérence, qu’on lui rend avec déférence. Venu de Lille après une étape à Mulhouse, Paul Delsalle tisonne une nouvelle connaissance d’une partie de l’histoire de la province. L’historien vient d’ailleurs de diriger la publication du premier tome d’un ouvrage collectif : le Dictionnaire historique de la Franche-Comté sous les Habsbourg, 1493-1678, une période de prédilection pour Paul Delsalle.

En 1493, après la défaite des troupes française de Charles VIII à Dournon, près de Salins-les-Bains, face aux troupes de Maximilien d’Autriche, la signature du traité de Senlis solde l’héritage de la partie « française » du duché de Bourgogne, héritage furieusement convoité depuis la mort de Charles le Téméraire en 1477. Avec le traité de Senlis, le comté de Bourgogne, comme on appelle la Franche-Comté (1), passe dans le giron du Saint-Empire Romain dont le siège est à Vienne. Le comté de Bourgogne vivra jusqu’en 1678 dans cette immense puzzle qui comprend les Flandres – les actuels Belgique, Luxembourg, Hollande et une partie du nord de la France -, les innombrables états et principautés d’Allemagne, l’Autriche, et au-delà vers l’Italie et l’Est. Un empire qui s’agrandit encore quand l’empereur Charles Quint coiffe la couronne d’Espagne, et les colonies américaines qui vont avec.

L’affaire espagnole

Voilà scellé le sort de cette province comtoise qui accompagnera le siècle d’or espagnol après avoir connu l’épopée des ducs de Bourgogne et pour finir par prendre en route le carrosse du Grand siècle de Louis XIV à partir de 1678. Cette apparition de l’Espagne laisse l’idée d’une Franche-Comté « espagnole » fagotée par Victor Hugo dans un célèbre vers. Ce n’est pas tout à fait le cas. Comment, justement, s’est débrouillée la province comtoise dans cet immense espace ? Pendant des années, Paul Delsalle a mené des recherches qui ont désespagnolisé l’affaire. En fait, c’était cap au Nord vers les Flandres.

C’est aussi un clin d’œil pour l’historien, originaire de la région lilloise. « A l’époque, les Flandres et le comté de Bourgogne c’est la même histoire, puisque le comté dans l’organisation administrative de l’empire est rattaché aux Flandres » souligne l’historien. Il a donc refait le chemin qu’empruntaient les Comtois vers les Flandres à l’époque des Habsbourg. Cela signifiait un énorme travail de recherche dans les archives, du côté de Louvain, de Vienne et de bien d’autres sources. Une démarche qui favorise des échanges avec des historiens belges, suisses, allemands ou encore hollandais.

Pénitence à Saint-Claude

« Il faut effacer la vision d’une population vivant en autarcie, qui ne bouge pas. Les Comtois vont partout, investissent tous les rouages de l’empire. Nous avons même découvert des relations inédites avec les Flandres qui touchent à la vie quotidienne. Pour le carême on importait des quantités de harengs, dans l’autre sens on expédiait vers les Flandres des troupeaux de bœufs pour y être engraissés. Autre exemple : Saint-Claude était un grand lieu de pèlerinage. Des juges des Flandres pouvait condamner des individus à effectuer un pèlerinage dans cette ville ».
Tout ça donne de la couenne à l’histoire du pays. Publications dans des revues, colloques, livres concrétisent les recherches. Et dire que Paul Delsalle n’a jamais obtenu le prix Lucien Febvre ! L’universitaire se retire. Peut-être est-il à l’université de Franche-Comté le dernier d’un bel aréopage d’historiens qui avait su lier leur enseignement à la connaissance de la Franche-Comté. Citons Pierre Gresser, René Locatelli, Gaston Bordet ou encore Michel Vernus, et les défunts Jean-Marc Debard, François Vion-Delphin, René Locatelli. Si l’universitaire se retire, l’historien demeure, la passion ne prend pas de retraite. Il l’a poursuivra notamment avec le groupe d’études Franche Bourgogne, un ancien nom de la province, très actifs depuis plusieurs années.

Jean-Claude Barbeaux

(1) A l’époque le pays de Montbéliard est dans le giron du duché de Wurtemberg et Belfort en Alsace.

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Ils ont fait la Franche-Comté de 1493 à 1678

Le premier des trois tomes du Dictionnaire historique de la Franche-Comté sous les Habsbourg est paru. Il est consacré aux personnages. Le deuxième s’intéressera aux matières (géographie, administration, religion, culture…). Le troisième s’attachera aux lieux (ville, bourgs, forteresses…). Le premier volume a déjà toute sa place dans votre bibliothèque comtoise.
Pour mener à bien cette aventure éditoriale, Paul Delsalle a mobilisé une cinquantaine de professionnels et de passionnés d’histoire dont des contributeurs venus de Suisse, de Hollande et de Belgique. Ce volume donne à découvrir des destinées d’humbles et de puissants, originaires du pays où ayant eu une influence directe à commencer par Marie de Bourgogne et sa fille Marguerite. On est impressionné par le nombre de Comtois ayant accédé à de hautes fonctions politiques, administratives, religieuses, militaires dans les non moins  hautes sphères de l’empire des Habsbourg. Lacuzon n’était dans ces hauteurs pas mais il est bien dans ce dictionnaire.

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Bibliographie
La bibliographie de Paul Delsalle est fournie avec des premiers ouvrages sur des thèmes nordistes et des manuels pour étudiants. Et bien sûr les ouvrages consacrés à la Franche-Comté. Conseillons notamment L’Invasion de la Franche-Comté par Henri IV.
-La Franche-Comté et les anciens Pays-Bas, XIIIe-XVIIIe siècles, 2 volumes, PUFC 2009 et Cêtre, 2013.

-L’invasion de la Franche-Comté par Henri IV, Besançon, Cêtre, 2010, 2ème édition 2012.

-La taverne et l’arquebuse, Besançon, Cêtre, 2012 ; 2ème édition 2020.

-L’écharpe rouge, Besançon, Cêtre, 2020.

-Dictionnaire historique de la Franche-Comté sous les Habsbourg (1493-1678), Besançon, Cêtre, 3 volumes (tomes 2 et 3 à paraître).

Le groupe d’études Franche Bourgogne a publié :

Des paysans au temps de la poule au pot, 1580-1635, Éditions Franche-Bourgogne, 2016 (3ème édition 2020) ; en cours de traduction en néerlandais.

Croix et calvaires comtois érigés sous l’épiscopat de Ferdinand de Rye, 1586-1636, Éditions Franche-Bourgogne, 2019 ; en cours de traduction en néerlandais.

Les tibériades du comté de Bourgogne, Vy-lès-Filain, Éditions Franche-Bourgogne, 2016-2018, 6 volumes.

La fortune de Salins, XVIe-XVIIe siècles, Éditions Franche-Bourgogne, 2020.

Le Mont Jura, côté comtois, côté helvète, XIIIe-XVIIe siècles, Éditions Franche-Bourgogne, 2021.

Site : www.association-franche-bourgogne.com