Rubrique. Grands Mots, Grands remèdes : Trois petites griottes

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Muni d’un petit sachet de galets de Chalain, j’avais toqué à la porte de la Marie-Madeleine, convaincu d’être bien reçu, comme à l’accoutumé. J’avais même espéré un vieux reste de galette de goumeau, ce gâteau de ménage qu’elle parfume délicatement à la fleur d’oranger. Elle le fait si bien ! Avec peut-être un petit verre de vin de paille ou quelques griottines de son cousin de Fougerolles ? Je m’y étais préparé… (1)
Mais rien ne s’est passé comme prévu.
Mais fermez don la porte vindzou ! (2) C’est pas dieu possible ! Vous me faites perdre le feu ! On sait plus comment on vit au jour d’aujourd’hui ! Voilà qu’il s’est mis à faire du méchant temps et une grosse fricasse. Moins 8, qu’il m’a dit l’Antonin !
Sans compter le ressenti comme ils disent dans le poste… Ça fait bien un quart de froid en plus ! Notez que ça m’a pas étonnée pour deux sous. Le Fernand il disait : quand ça gèle à Saint Angèle ça meule à Saint Claude (3). Alors comme c’était hier et qu’on en est pas loin, on récolte ce qu’on a semé, faut pas chercher ! Les chiens font pas des chats.
C’est pas qu’on soit pressé de se mettre à dépeller pis à patasser dans la gniaffe !
Mais bon ! On choisit pas !
J’ai fait une p’tite freulée (4) parce que vous autres les gens de la ville vous avez tôt fait de piauner qu’il fait cru et que vous allez choper la mort. C’est d’la petite maille. A la première rabasse vous voilà gaugé. Nous les anciens, pouvez m’en croire… c’est pas pour dire mais c’est pas pareil : on a connu la misère nous autres. Alors, j’t’en fiche, on n’est pas toujours de ravonner pis de choupener (5) à tout bout de champ pour un coup de bise. Y en faut plus pour nous faire passer les piquets. La preuve c’est qu’on est là, c’est don bien qu’on n’est point mort !
Reprenez don trois petites griottes ça va vous réchauffer.
J’ai repris trois petites griottes.

Quelques notes explicatives :
(1)- Les Griottines sont à juste titre une fierté de la Haute-Saône. Hélas, on me dit que les griottes utilisées ici, ces petites cerises aigres, ne sont pas originaires de Haute-Saône mais que c’est une variété des Balkans, l’oblachinska originaire de Serbie. Elle seule a la chair suffisamment ferme pour résister à la macération prolongée dans le kirsch à 15 %. Soit on se morfond dans la désillusion, soit on en reprend deux-trois.
(2)- Vindzou est très comtois. On rencontre aussi Vindzi, Vinzou, vingt bonsoirs. Toutes ces variantes sont des échappatoires pour éviter « vingt dieux » qui fleurit bellement dans le microclimat de la vallée de la Bienne. Et pas que. Jusqu’à une époque récente ce juron était très mal noté. Mais un film récent, terriblement jurassien, pourrait bien redorer son blason. Vingt dieux n’en reste pas moins profondément blasphématoire. Qu’on l’écrive « vingt dieux » alors que nous adorons un dieu unique ce qui est quand même vingt fois moins ou qu’on l’écrive « vain dieu » alors que vain prend ici le sens d’inutile, de superflu, de chimérique ce qui nécessiterait une réécriture du catéchisme que nous avons connu.
(3)- La saint Angèle c’est le 27 janvier et la saint Claude le 15 février lendemain de saint Valentin. Ce qui ne donne aucun droit de bidouiller des dictons, sentences, adages ou maximes. Comme par exemple « Qui fait tintin à la Saint Valentin, fera le plein à la Saint Damien ». C’est sept jours plus tard mais cette maxime de l’Augustin nous indique seulement que l’espoir fait vivre. Comme la Saint Frusquin.
(4)- Une frelée (ou une freulée) est un feu vif. La frelée a désigné aussi pour nos ancêtres le Purgatoire. Mais c’était il y a très longtemps et les comtois disait plutôt – de même sens- lè frela. La métaphore vient de ce que les damnés pouvaient expérimenter le feu au Purgatoire comme un avant-goût des flammes de l’Enfer.
(5)- Ravonner (comme aussi ragonner) c’est grogner, rouspéter. Probablement à rapprocher de l’espagnol regañina, une réprimande et de regañón, rabat-joie ou encore de a regañadientes, en rechignant. La Comté partagea un temps les mêmes souverains que l’Espagne.
Choupener est l’équivalent comtois du français chouiner (ou chougner). Les savants y voient un dérivé onomatopéique de -chougn, ou -chouign qui évoque le grognement du porc.