Inutile de se triturer les méninges : la Marie-Madeleine m’avait posé un lapin et j’en avais gros sur la patate. J’avais espéré tailler une bavette à la bonne franquette (1) et me fendre la poire en me tapant la cloche mais j’avais pris un râteau (2). Je m’étais mis sur mon trente et un mais me voilà à faire le pied de grue, l’estomac dans les talons et avec -cerise sur le gâteau- un air cruche, pour ne pas dire l’air con comme un balai. Un balai qui en plus se caille les miches pour pas un rond. J’en restais comme deux ronds de flan (3).
Ne vous montez pas le bourrichon ! Ne montez pas sur vos grands chevaux ! Non !
N’imaginez pas que nous voilà en bisbille… Inutile de semer la zizanie en se racontant des salades, la Marie-Madeleine et moi à couteaux tirés ? Impensable ! On est cul et chemise. Et depuis belle lurette.
Comme je l’ai à la bonne je lui cherchais des excuses : peut-être avait-elle voulu piquer un roupillon et au bout du compte, de fil en aiguille, avait-elle dormi comme une souche. Peut-être était-elle simplement à la bourre car la Marie-Madeleine autant que vous le sachiez, c’est un boute-en-train (4) mais ça n’est pas le genre à courir le guilledou, à faire la nouba ou à mener une vie de patachon.
Je commençais à me faire du mouron : après tout, elle est bien en âge de casser sa pipe. Pourtant elle a toujours la pêche et elle est loin d’être au bout du rouleau. La dernière fois elle avait un chat dans la gorge. Ça aurait dû me mettre la puce à l’oreille… Elle qui n’a jamais un pet de travers.
Je commençais à me faire un sang d’encre, à yoyotter du bulbe…
Quand elle m’est soudain apparue ! Bon pied, bon œil avec un savagnin de derrière les fagots pour me clouer le bec avant que je lui en fasse tout un fromage…
Elle ne manque pas de toupet, la Marie-Madeleine !
Notes pour y voir plus clair :
Comme elles sont nombreuses nos belles expressions !
Elles sont comme les éclats de chocolat dans les cookies, comme la gelée dans le jambon persillé ou comme -soudain !- la biche au coin du bois. Une gracieuse surprise qui met du baume au cœur et qui nous réconcilie avec la routine pesante du quotidien.
Elles sont tellement variées qu’on peut écrire un récit cohérent avec leur seul support sans… perdre le fil !
(1)- « À la bonne franquette », c’est « à la fortune du pot ». Mais nous voilà bien avancés !
Au XVIIème siècle et pour encore cent ans on disait « à la franquette ». Et cette franquette voulait dire en toute franchise. C’est bien plus tard qu’on crut comprendre – à tort ou à raison – que la franchise sans artifice était cousine de la simplicité.
(2)- L’expression « prendre un râteau » n’a qu’une trentaine d’années. On a pu penser que marcher par inadvertance sur le peigne d’un râteau pouvait propulser son manche contre l’appendice nasal du marcheur et que cette sanguinolente mésaventure était à l’origine de l’expression. Mais cette image, très « cinéma muet », nous égare. Le râteau date de l’antiquité. Mais les déconvenues amoureuses sont plus anciennes encore et on les rencontre dans toutes les mythologies. Cette expression vient plutôt du verbe rater. Pour nos anciens, la chasse aux rats était une activité indispensable et prendre rat c’était manquer sa proie parce que l’arme -quelle qu’elle soit- s’était enrayée. De prendre rat nous est venu rater et avec les détours dont notre langue a le secret, « prendre un râteau ».
(3)- En rester comme deux ronds de flan c’est en rester baba. Après, c’est chacun selon ses goûts en matière de pâtisseries. Le rond de flan c’était à la fin du onzième siècle un disque qui recevait par pression une empreinte. On l’utilisait pour battre monnaie et plus tard en typographie. Deux ronds de flan c’était comme deux grands yeux ébahis. « C’est du flan » désignerait de la menue monnaie sans grand intérêt…
(4)- L’histoire originelle du boute-en-train est à peine croyable. Mais, comme je la tiens du dictionnaire historique de la Langue Française d’Alain Rey, on ne saurait la mettre en doute. Le boute-en-train entre dans le dictionnaire de l’Académie en 1694.C’est alors le nom imagé que l’on donne à un bijou fantaisie porté en broche sur le sein et qu’on appelle aussi un tâtez-y. Vous l’avez deviné on est bien antérieur aux mouvements qui ont abouti au me-too. Mais, déjà à l’époque, il y avait là des relents scandaleux et le mot a été retiré des éditions suivantes du dictionnaire.
Dommage qu’un fouineur à qui l’on confie ici imprudemment cette rubrique sans queue ni tête soit allé déterrer cette indécente étymologie d’autant que maintenant – ayant épuisé la place qui lui est allouée – vous ne connaitrez pas la véritable origine du boute-en-train. Sachez seulement qu’elle est antérieure à l’essor jamais démenti de la SNCF…
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