Rubrique. Grands mots, grands remèdes : Le chagrin des grincheux

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Gérard Bouvier

Nous avons vécu des Jeux Olympiques enchanteurs.
Je ne parle pas de Céline Dion, d’Amir, d’Aya Nakamura, ni même de la Garde
Républicaine…
Mais, passés les bonheurs partagés, essuyées les larmes de joie ou de déception,
ayons une pensée pour la rentrée de nos dépités.
Non pas de ceux qui ont échoué au pied du podium (1). Avec le temps ils
retrouveront le sourire. Ils se motiveront pour Los Angeles et apprécieront les
souvenirs qui les ont marqués à jamais. Non ! Je ne parle pas des déçus, je parle
des malheureux sincères, des désespérés. Cet événement qui a montré la France
sous un jour plaisant au monde entier leur a arraché le cœur (2).
La veille de la cérémonie d’ouverture ils conseillaient, sur le ton de ceux qui savent,
de renoncer d’urgence à organiser ces Jeux « pendant qu’il était encore temps »
parce qu’à leurs yeux, notre pays allait se ridiculiser au vu et au su du monde entier.
Ils en ont été pour leur frais. Il y a eu bien plus de joie que d’attentat. Plus de sourires
que de balles perdues. Plus de bienveillance que de mauvaise grâce. Bien peu de
polémiques… (3). On a bien peu ronchonné alors qu’on sait le faire…
Et le chagrin des grincheux (4) est infini. Ils ont remisé dans leurs buffets tous les
« Pauvre France » qu’ils avaient préparés avec gourmandise. Même leurs « je vous
l’avais bien dit » sont morts dans l’œuf.
Ceux qui ont pris leurs jambes à leur cou pour fuir Paris et « cette folie collective »
ont fait ensuite des pieds et des mains pour revenir à Paris et participer à « cette folie
collective ».
Mais les ronchons (5) doivent garder le moral. Ils reviendront ces jours bénis où ils
pourront clamer que nous sommes les plus malheureux (6) et les plus incapables du
monde.
Cherchez bien : ils sont peut-être déjà revenus.
Quelques notes pour compléter ce texte :
(1)- « Échouer au pied du podium » est la façon de dire habituelle pour qualifier ceux
qui arrivent quatrièmes ou cinquièmes. L’expression est déroutante et redondante
car le podium vient du grec podion qui signifie « petit pied ».
(2)- Tous ceux qui ont été impliqués de près ou de loin dans ces JO, et j’inclus les
bénévoles et les athlètes, peuvent être légitimement fiers de l’effort entrepris. Ceux
qui risquent fort de crouler bientôt sous le flot des critiques pourront toujours se
rappeler ce que disait Nietzsche : « Ils ne sont pas rares […] les hommes qui ont
absolument besoin, pour maintenir leur estime d’eux-mêmes, de rabaisser et de
dénigrer […] tous les hommes qu’ils connaissent ».
(3)- Qu’on se rassure on a quand même vu des polémiques qui flottaient dans l’eau
de la Seine. Sinon des Jeux organisés par la France comme ça, brutalement, sans
polémique cela aurait pu donner lieu à bien des suspicions et… à bien des
polémiques.
(4)- Il faut laisser les grincheux grincher et le mieux est de passer son chemin en
sifflotant un air de votre choix. Et pourquoi pas de Joe Dassin ?
Au XIVème siècle, apparaissent « grincer les dents » et « grisser les dents ». À
l’usage c’est grincer qui l’emporte. Vers 1530, « la gringe » qui provoque au niveau
de la denture un bruit désagréable évoque désormais la manifestation d’une aigreur
ou d’une hostilité. Et la gringe devient « la mauvaise humeur ». En 1872, un
« grincheux » devient celui dont l’humeur maussade pollue les relations avec son
entourage.
À mon avis, il vaut mieux laisser le grincheux grincher. Cela permet une meilleure
circulation de sa bile noire (ou atrabile). Ce liquide froid et sec provient de la rate
chez les mélancoliques. Ou chez les anxieux qui se font de la bile. Mal évacué il
pourrait coaguler en catons, empêcher la circulation des autres humeurs et provoquer des éruptions ou une ménopause/andropause précoce avec une perte des cheveux. Certes la théorie des humeurs est en perte d’audience mais sait-on jamais ?
Moi, ce que j’en dis c’est pour rendre service mais naturellement chacun fera comme
il le sent.
(5)- Ronchon est de ces mots savoureux qui n’en désigne pas moins un personnage
odieux. Le bougon a sa bougonne et le grognon a sa grognonne. Le ronchon a sa
ronchonneuse. Là, ça bourdonne comme débroussailleuse et ça fout le bourdon.
C’est moins smart.
Ronchonner vient du vieux verbe français ronchier qui au XIIIème siècle signifiait
ronfler. Il y a eu un transfert acrobatique qui ne m’explique pas pourquoi quand je
ronfle c’est ma femme qui ronchonne. Je n’ai trouvé l’explication dans aucun
dictionnaire et pas même dans les encyclopédies.
(6)- Notre flatteuse cinquième place au classement des médailles ne doit pas être
l’arbre d’aubaine qui cache la forêt de notre désespérance. N’oublions pas que nous
sommes le 23ème pays dans le classement des pays où l’on peut vivre heureux,
selon l’indicateur de l’OCDE. Loin derrière le Brésil, le Chili et le Mexique. Mais il est
vrai devant le Venezuela et l’Éthiopie.
Nous avons donc une marge de progression. Mais il serait dommage de s’en réjouir
car -à cette seule idée- nous risquerions de gagner quelques places et ce ne serait
pas d’jeu.