Répartition, solidarité, les jeunes qui payent les retraites des ainés… C’est généreux, c’est beau et tellement français. Mais c’est idéaliste. Depuis les trente glorieuses, la France est engluée entre chômage, dette, croissance insuffisante et crises sociales.
Le budget total annuel des pensions de retraite est grosso modo de 340 milliards d’euros, soit 41% de l’ensemble des prestations sociales. Les retraites dépendent de la croissance qui dépend de la démographie.
En France, pour 1 euro de croissance, ce sont 3,50 euros de dette. Nous sommes à 1,4 cotisant pour un retraité, contre quatre pour un en 1956 (chiffres Cnav). Les retraites absorbent plus de 14 % du PIB contre 5 % en 1956. Ce système n’arrive plus à l’équilibre dans une population vieillissante. En 2040, 35 % de la population aura 60 ans ou plus. La proportion des cotisants par retraité, qui était en 1970 de 4,5 est aujourd’hui de 1,2 et continuera de baisser. Comment compenser ? la France n’a pour choix que la dette, avec pour conséquence l’augmentation des impôts, péjorative pour la consommation, donc pour la croissance, donc pour les retraites…
Le débat se joue dans ce contexte économique défavorable et un imbroglio politico-conceptuel, issu du Comité National de la Résistance, alors noyauté par les communistes. Les retraites se sont ainsi construites dans une doctrine corporative, moins soucieuse d’économie que d’idéologie, avec toujours un argument pour justifier le refus de toute remise en cause et rendre illusoire l’ambition d’un système universel. Qu’on en juge : Les non-cheminots, non-fonctionnaires, non gaziers non-avocats, etc. Bref, les non-quelque chose, dépendent de deux retraites de base, CARSAT ou MSA, et de deux caisses complémentaires Agirc – Arrco. Mais pour les autres… ce sont 42 régimes différents ! 42 régimes spécifiques compensés par l’impôt et qui en font des privilégiés au regard des premiers.
L’État garantit les retraites de ses agents à hauteur de 85% de leur traitement brut des six derniers mois, contre 28% dans le privé, fondés sur la moyenne des 25 meilleures années. Quant aux pensions de réversion, le privé, les conditionne au montant des ressources du conjoint restant, rien de tel pour le secteur public. Ainsi, le budget de l’État, structurellement déséquilibré depuis la fin du baby-boom apporte 37,3 milliards d’euros par an à la retraite des fonctionnaires. Seul un quart de cette somme est couverte par leurs cotisations. Ce chiffre représente 36 % des déficits publics. L’État employeur gère un régimes de retraite dégradé, avec 0,9 employé par retraité.
Au contraire, l’ARRCO et de l’AGIRC sont gérées paritairement par les syndicats d’employeurs et de salariés sans que l’État ne s’en mêle. Cette gestion est équilibrée depuis 1947, de sorte que leurs réserves se montent à quelque 60 milliards d’euros. Idem pour beaucoup de régimes complémentaires : travailleurs indépendants, professions libérales, artistes-auteurs, navigants… Ces caisses ne coûtent rien aux contribuables. Pour protéger leurs cotisants, ces régimes auraient besoin d’ajouter un étage en capitalisation collective. Or le contraire se profile : leur transfert au régime général.
En effet, le déséquilibre des retraites, plombées par celles de l’Etat ne peut être réduit que de quatre manières : Augmenter les cotisations, diminuer les pensions, repousser l’âge de la retraite, enfin tout mettre dans un pot commun en supprimant les 42 régimes spécifiques ce qui justifierait alors de siphonner l’ARRCO et l’AGIC pour combler une partie du déficit.
C’est oublier que sauf à les augmenter, les cotisations du système de retraite par répartition ne garantissent seulement qu’un minimum vital et sont souvent complétés en capitalisation, ce qui existe déjà avec des fonds d’assurance ou de pension librement choisis. Outre le supplément apporté aux retraités, dans un système de capitalisation l’argent placé par le gestionnaire rapporte des intérêts qui augmentent le capital des épargnants futurs retraités. Au contraire, dans un système de répartition la CARSAT ou la MSA ne sont que des tiroirs-caisses : l’argent en sort aussi vite qu’il y entre. Fondés sur l’argent, non sur la solidarité, les fonds de pension sont sulfureux. Pourtant ils ont bien résisté aux crises économiques. Et ils existent déjà : le RAFP (Retraite additionnelle de la Fonction publique) et le FFR ( fonds de réserve pour les retraites ) sont deux fonds de pensions publics collectifs. Il existe également des fonds de pensions privés, les PER, qui peuvent être individuels, ou collectifs d’entreprises.
Plutôt que de siphonner l’ARRCO et l’AGIC, pourquoi ne pas en faire les gestionnaires d’un système mixte garant de toute dérive mercantile, conjuguant répartition et fonds de pensions ? Bien sûr il y faudrait moins d’idéologie, et davantage de pragmatisme.
Hélas, c’est une utopie : gageons que ces obstacles franchis, le système final serait incompréhensible et ingérable…
P.R