Le Mérinos

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Gérard Bouvier.

C’est humain : confronté aux propos absurdes de ses contemporains l’homme sensé
(1) éprouve un profond sentiment de révolte. Et il n’a de cesse d’avancer ses
arguments pour anéantir d’un commentaire sans appel les propos incongrus. Vanité !
Hélas ! plusieurs fois hélas… Si l’initiative est louable, elle se heurte à deux écueils.
Bien sûr, il est difficile d’être certain que l’absurdité et l’extravagance de l’un est bien
contraire à la sagesse et au bien-fondé de l’autre. Car enfin, si par un coup du sort c’était l’inverse ? Et réciproquement… Car si nous sommes tous porteurs d’un solide
bon sens il faut bien reconnaitre que -mis bout à bout et tous ensemble- on obtient le
plus souvent un bon sens giratoire (1) où parfois une chatte ne retrouverait pas ses
petits.(2)
Parfois, on n’est plus très loin de la pagaille… (3)
Un second écueil est la loi de Brandolini, dite aussi principe d’asymétrie des baratins,
qui postule que la quantité d’énergie nécessaire pour réfuter des sottises est
largement supérieure à l’énergie nécessaire pour la produire(4). Autrement dit, en
termes moins mathématiques, il est mille fois moins fatigant et plus rigolo de débiter
des conneries comme s’il en pleuvait que d’essayer de rétablir la vérité en alignant
des preuves fatigantes et auxquelles personne ne croit. Et aussi : on s’en fout.
Cette loi a la réputation de dater du 11 janvier 2013 quand Alberto Brandolini, un
programmeur italien, en a fait état .
Mais qui croire quand, dans un vieux conte d’il y a trois siècles, on trouve cette
moralité de même bon sens :
« Quand l’absurde est sans borne, on lui fait trop d’honneur
De vouloir par raison combattre son erreur.
Enchérir est plus court, sans s’échauffer la bile. »
Sans oublier l’héroïque : « Arrête don voir Monique : laisse pisser le mérinos ! ». (5)

Notes à toutes fins utiles :

(1)- Quelques précisions orthographiques… On peut passer directement à la note (2)
si l’on est très compétent en orthographe ou si l’on crève de chaud à la seule idée de
retrouver le Bled.(1 bis)
Un homme sensé est un homme censé avoir du bon sens.
Giratoire de gyrare en latin : tourner. L’ancienne orthographe gyratoire est désormais
considéré comme désuète. Pour éviter d’être pris dans le même tourbillon et d’être
désuet à mon tour, j’écris donc : giratoire.
(1bis) – « Le Bled » conçu par un couple d’instituteurs Odette (1907-1991) et
Edouard Bled (1899-1996) est devenu un nom commun. C’est un manuel d’exercices
orthographiques et grammaticaux utilisé dans toutes les écoles primaires de France
qui a fait le ravissement de toute une jeunesse studieuse avant que les cahiers
détachables des mini-récits du Journal de Spirou ne lui ravissent la suprématie dans
le cœur des enfants.

(2)- Une chatte n’y retrouverait pas ses petits est une expression qui fait partie de
notre patrimoine. Elle témoigne d’un grand désordre. Dans le roman « Le marquis
Lanrose » en 1866 Edmond About (celui de l’Homme à l’Oreille cassée) écrit « Et
puis j’ai tout fourré dans un imbroglio de fantaisie où une chatte ne retrouverait pas
ses petits ». Heureusement les imbroglios de fantaisie sont assez rares de nos jours
et la SPA les tient sous contrôle.

(3)- Attention les noms en -aille ne me disent rien qui vaille. Qu’on en juge : racaille ;
funérailles ; canaille ; ça caille ; boustifaille ; poiscaille ; emmouscaille ; bataille ;
entrailles ; mitraille ; marmaille ; ferraille ; broussaille ; épouvantail… ça fait peur et la
médaille : représailles. Manquerait plus…
J’ai essayé de remplacer -aille par -ouille pour vous consoler puisque Aïe et Ouille
partagent la même souffrance. Pas mieux ! Racouille ; funérouilles ; canouille ; ça
couille… Ça ne s’appelle pas progresser.

(4)- Ceux qui assènent des vérités qui vont à l’encontre du bon sens habituellement
considéré comme acquis par la plupart, comme font les platistes, devraient dans un
premier temps prouver qu’ils ne sont pas que des assemblages fortuits d’atomes et
de molécules donnant l’impression en première lecture et sous certains éclairages
d’une forme humanoïde ayant un lien avec le vivant. Bien sûr, la preuve devrait être
irréfutable. Cela donnerait du temps à leur interlocuteur pour s’enfuir.

(5)- Le mérinos est une race de mouton appréciée pour sa laine. Beaucoup
d’animaux défèquent en marchant mais ce qui semble facile pour crottins et bouses,
volontiers mis bas d’un œil distrait, semble plus difficile s’agissant d’urine. Au
XIXème siècle, les cochers s’arrêtaient pour « faire pisser la bête » au grand
désespoir des voyageurs pressés d’arriver (parfois pour un même motif).
Le cocher devait plaider la cause de l’animal en priant les voyageurs « de laisser
pisser la bête ». Ensuite la locution a dévié sur le mérinos pour des causes
inconnues mais forcément louables. Peut être pour faire chicos.
À noter que la néerlandaise Demi Vollering a perdu un Tour d’Espagne victime de
l’attaque d’une concurrente pendant un arrêt « pour un besoin naturel ». Autrement
plus grave que les mérinos !