Rubrique. Grands Mots, Grands remèdes : Étron

0
321
Grands Mots Grands remèdes

Le 24 décembre, Jean-Noël, un auditeur de France-Inter qualifiait Manuel Valls
d’étron. Il avait le mot sur le bout de la langue et il venait de le déféquer dans la
matinale.
Aujourd’hui le mot se fait rare et cet auditeur cultivé a bien fait de nous le remettre en tête. C’est un mot issu du francique à la fin du XIIème siècle. Il garde toute sa saveur mais sa rareté oblige à le traduire en langage de 2025. En fait l’étron (estront au
XIIème) désigne « une matière fécale consistante et moulée » (1). Ses synonymes sont nombreux mais Jean-Noël s’est jeté comme un mort de faim sur ce vieil étron éculé. « Ah ! non ! c’est un peu court jeune homme ! On pouvait dire… Oh ! Dieu !… bien des choses en somme… en variant le ton … » (2). C’est vrai qu’on pouvait dire en bombant le torse : crotte (3), excrément, caca (familier), colombin (familier), merde (très familier) (4).
Mais, va pour l’étron puisque tel est votre envie !
Je n’entrerai pas dans la polémique concernant un ancien premier ministre de la République car je sais garder la tête froide sans tomber la tête la première dans le
premier pipi-caca de passage.
Mais je regretterai que l’échange public sombre quotidiennement dans un cul-de- basse-fosse (5) ne disposant pas même du tout à l’égout. Je ne reproche rien à l’auditeur qui parlait selon sa culture mais que dire des réactions que sa diatribe à suscitée ?
Une juriste, militante des droits humains et eurodéputée européenne, a applaudi.
Une députée de Paris l’a « remercié d’avoir agrémenté ses fêtes de fin d’année », d’autres ont ri, d’autres ont renchéri, d’autres se sont tus.
Et aujourd’hui on attend la rentrée d’élèves bien polis dans la écoles (6).
Est-ce que quelqu’un peut m’expliquer pourquoi chaque fois que je pense aux futurs scrutins mes chaussures se tournent soudain vers l’arrière au risque de me retrouver cul par-dessus tête.

Notes :

(1)- La forme « estronchon » désigna un temps un petit étron. C’était trop mignon !
Mais la forme a disparu… Crotte de bique !

(2)- On pouvait dire (…) par exemple essayons :
Agressif : « moi, monsieur, si j’avais fait un tel étron,
Il faudrait sur le champ que je tire la chasse ! »
Amical : « ça n’est pas là la crotte d’une feignasse :
C’est un roc ! … c’est un pic !… c’est un cap !
Que dis-je c’est un cap ? C’est un handicap !
Truculent : « Et savez-vous ce qui me frappe ?
C’est ce reste de vos agapes qui s’échappe …

(3)- La crote à la fin du XIIème siècle ne prenait qu’un « t » avant qu’une âme
généreuse la gratifia d’un second. C’était bien jugé car la crotte à deux « t » fait
beaucoup plus sérieuse désormais. Mais je sens que vous fatiguez aussi je vous
parlerais de la crotte uniquement dans ses usages de fantaisie. Par exemple dans
l’interjection « crotte de bique ! » qui souvent marque le dépit ou l’impatience. Par
antiphrase (l’antiphrase est une figure de style qui consiste à dire le contraire de ce
que l’on pense pour créer un effet d’ironie), « ma crotte » est devenu un mot doux
que vous entendrez dans les alcôves et les antichambres un peu chicos.
Contre toute attente la crotte est souvent bonne à manger, comme sont les crottes en chocolat ou le crottin de Chavignol. À noter que ce crottin est un fromage de chèvre
alors que le crottin concerne plutôt le cheval. Mais ne soyons pas trop pointilleux.
De toute la famille de crotte seul a survécu « indécrottable » qui date de 1611 et s’est
répandu dans le langage courant sans jamais décevoir. Sans doute y avait-il du
monde pour mériter l’adjectif.

(4)- Comme elle est piquante l’histoire de ce mot de cinq lettres qui nous est si
précieux. À Waterloo, ce soir du 18 juin 1815, la situation militaire des français est
compliquée. Un général anglais (était-ce Colville, était-ce Maitland ?) leur crie :
« Braves Français, rendez-vous ! ». Bien que la proposition soit tentante le général
Cambronne leur répond aussi sec : « Merde ! », ce qui sera bientôt traduit de façon
approximative dans la Gazette par : « La garde meurt mais ne se rend pas ! ». On y
gagnait en précision, mais l’intonation est moins saisissante.
L’anecdote est incertaine et controversée et même beaucoup soutiennent que c’est
un comtois de chez nous, né à Pointre dans la Jura, Claude-Étienne Michel, général
d’Empire qui est l’auteur de ces réponses historiques. Ses héritiers feront un procès
à Cambronne en revendiquant la paternité de cette phrase dans la bouche du
général Michel.
Michel est mort à Waterloo nous privant de sa version des faits. Son nom est inscrit
sur le côté Nord de l’Arc de Triomphe.

(5)- Larousse me dit que le cul-de-basse-fosse est tombé dans les oubliettes et que
depuis la dernière réforme de l’orthographe on doit écrire cul-de-bassefosse. J’en
suis bien contrarié car on prend vite des habitudes. Je vais attendre une confirmation
non trouvée à ce jour. Naturellement je vous tiens au courant.

(6)- Tant que la libre expression de nos représentants politiques ne sera pas interdite
aux moins de seize ans dans l’espace public et dans les médias on s’expose à de
graves dommages car les jeunes ont tendance -bien qu’ils s’en défendent- à imiter
les anciens.