Rubrique. Grands mots, Grands remèdes : Galerie

0
347

C’est un reproche que l’on rencontre souvent sur les ondes ou dans les gazettes.
Les gens peu rigoureux dans leurs décisions ou leurs promesses sont bien vite
accusés d’amuser la galerie (1).
Dans notre langue, la galerie était connue depuis 1316 pour être… un porche d’église
ou de monastère.
Bien sûr le mot a connu des évolutions et c’est heureux car amuser un porche de
monastère en 2024 ne serait ni très judicieux ni très rentable et probablement
mettrait l’amuseur en difficulté si la gendarmerie faisait consciencieusement son
métier.
« La galerie » est ensuite devenue un lieu de passage ou de promenade couvert. On
ne s’éloignait guère du lieu de prières mais suffisamment pour que quelques fieffés
goguenards (2) s’en donnent à cœur joie sans avoir désormais à rendre des comptes
au clergé.
En 1555, le jeu de paume devient très populaire en France. Il consistait à envoyer
obstinément une boulette de baudruche en long en large et en travers sur le mur
d’une grande salle jusqu’à ce que le meilleur gagne. Cet étrange pratique était
observée de près par des spectateurs émerveillés qu’on avait réparti à grands frais
dans des balcons à encorbellement qu’on appelait, assez pompeusement du reste,
des galeries.(3)
Plutôt que de soigner leurs lifts et leurs revers croisés de mauvais perdants mettaient
à profit ce lieu populaire pour distraire l’assistance de quelques pirouettes,
cacahuètes ou autres excentricités. Ça n’était pas très malin. Mais vous savez, à
l’époque, les gens n’étaient pas si regardants qu’aujourd’hui.
C’est ainsi qu’on prit l’habitude d’utiliser « amuser la galerie » pour dire qu’on fait rire
de bien piètres niaiseries.
Je prie pour ne jamais être atteint de ce syndrome outrageant qui peut vite devenir la
honte de toute une famille.(4)

Notes pour éclairer ce texte :

(1)- L’histoire du verbe amuser est… amusante. Muser est dérivé à la fin du XIIème
siècle de mus, le museau. Muser c’était rester le museau en l’air aux quatre vents.
De cette attitude sans grand intérêt -surtout si elle se prolonge- a découlé deux sens
quelques peu différents. Muser a ainsi signifié perdre son temps à des bagatelles ou
pire gaspiller son temps à ne rien faire. Il en reste la trace dans musarder, mais aussi
dans le très moderne : tu commences à m’amuser avec tes niaiseries.
Un autre sens de « muser à » est bien plus respectable qui signifie réfléchir
mûrement. Aujourd’hui, avec les progrès cognitifs de notre époque -à moins que ce
ne soit grâce à une diététique mieux équilibrée- on réfléchit très vite. Le mûrement
est arrivé au pourrissement si bien qu’en règle générale on ne réfléchit plus. Et ce
sens s’est donc perdu chez nous. Les anglais, sur leur ile, on su le garder et to muse
signifie méditer, songer, réfléchir. S’ils l’ont gardé c’est qu’ils en ont bien besoin.
Il fallu attendre chez nous le XVIIIème siècle pour que s’amuser trouve son sens
actuel et remplace (enfin !) se divertir qui est beaucoup moins spontané et beaucoup
plus fatigant.

(2)- Un goguenard est un plaisantin moqueur. La goguenarde est beaucoup plus rare
pour des raisons obscures mais qui font honneur à ce sexe. Le mot dérive de la
gogue qui au XIIIème siècle désignait la bonne humeur. La gogue a donné aussi le
goguette. Être en goguette au début du XVIIIème signifie s’adonner à des parties
fines. Comme vous savez cette expression a disparu en même temps que son objet.

(3)- Ce sport qu’on dit parfois l’ancêtre du tennis avait été inventé par des moines
français pour faire un peu d’exercice dans leur cloitre afin de ne pas trop ressembler
en mauvais point à une boite de Chaussée aux Moines © . Je ne sais si l’histoire est
authentique mais ce jeu a été tellement prisé dans le Paris du Moyen-Âge qu’il fallut légiférer. Henri IV au lendemain de son entrée royale dans Paris est surpris dans une
salle de jeu de paume. Il y gagne une sympathie qui devrait bien être étudiée de près
pas nos gouvernants actuels. Ils pourraient faire du volley ou du water-polo puisque
le jeu de paume est en perdition.
Le 22 juin 1397, le prévôt de Paris interdit la pratique de ce jeu tous les jours sauf le
dimanche. Vacherie contre l’Église et sa messe dominicale ? Pas du tout ! Il
souhaitait que les corps de métiers cessent de quitter leur ouvrage.
La situation était devenue catastrophique : les rémouleurs ne rémoulaient plus ; les
porteurs d’eau se répandaient dans les salles de jeu de paume jusqu’à plus soif ; les
bourreaux étaient introuvables en cas d’urgence vitale et il fallait bourrer par d’autres
moyens. Les crieurs restaient bouche-cousue et les loueuses de sangsues ne se
mettaient plus les pieds dans la Seine pour attirer leur proie et les malades se
faisaient un sang du diable.
Plus de chiffonnier, plus d’attrapeur de rat, plus de demoiselle des téléphones.
Tous étaient au jeu de paume.
On dit même que les marchandes de plaisirs délaissaient leur commerce. Je vous le
dis par souci d’être complet mais je ne suis pas sûr.

(4)- Me reste le fol espoir qu’il ne soit pas trop tard…