Je vous disais tantôt qu’une expression peut changer de sens comme d’autres changent de parti politique ou même de genre ou parfois prennent tout simplement l’autoroute à contre sens. (1)
Mais les mots aussi quand ils s’usent changent parfois de sens. (2)
Ainsi, si je dis « nos dirigeants politiques sont formidables ». Vous les imaginez aussitôt faisant grand cas des souhaits de leurs électeurs ou bien encore aidant leur conjoint à faire la vaisselle. Comme vous êtes modernes ! C’est le sens actuel mais ce mot à ses débuts, en 1392, avait un tout autre sens. Du latin formidabilis, il décrivait celui qui inspire la crainte, la terreur. D’ailleurs formido était l’épouvantail.
D’autres mots ont connu les même caprices. Si vous dites : « faut-il qu’il soit stupide pour nous asséner semaine après semaine ses rubriques à la mords-moi les genoux », sachez qu’un individu « stupide » n’a pas toujours été bête comme ses pieds (3). Aujourd’hui un comtois stupide -ce qui est de plus en plus rare depuis
l’enrichissement en iode de notre pitance- est souvent un niolu, un beuzenet, un iodot. Voire un babeu ou une nouillotte. Et dans les cas extrêmes -sans citer des noms- un connot. Il n’en a pas toujours été ainsi. Le stupide originel, issu du latin stupidus en 1377 était seulement ahuri et comme paralysé par une émotion très vive. C’était le bon temps et il est dommage qu’il ait mal tourné et qu’il soit devenu sous Rabelais, en 1552, un être dépourvu d’intelligence. Surtout quand on sait comme l’intelligence peut parfois rendre service.
Débile a subi le même outrage du temps. Il désignait vers 1265 un estropié, un infirme. Puis l’on est passé de celui à qui il manquait tout ou partie d’un membre à celui à qui il manquait une case (5).
Quelques notes pour venir au secours du lecteur :
(1)- Nous parlions en ce temps-là de l’expression « tirer les marrons du feu ». Je n’y reviendrai pas. Je suis en cloques. Mais d’autres expressions ont parfois tourné de l’œil sans prévenir. Ainsi « se pâmer » qui date de 1050 et qui dérive du latin spasmus qui traduit une convulsion. Les pasmes dès le XIIIème siècle était cet évanouissement prestigieux, teinté de langueur, parfois surjoué, mais qui en a séduit plus d’un, au point de l’avoir nommé pâmoison. Les jeunes gens fragiles ou frappé par un amour excessif et aveugle, tombaient dans les pâmes pour le plus grand émoi de leur public. Au milieu du XIXème, tomber dans les pâmes devint tomber dans les pommes. On me dit qu’on le doit à Amantine Aurore Lucile Dupin de Francueil. Mais je crois plutôt qu’on le doit à George Sand. D’ailleurs c’est la même.
(2)- Vous souhaitez des exemple de mots qui changent de sens quand leur arrive l’âge du dentier et des prothèses ? Le manant était au XIIème siècle un grand possesseur de biens qui n’échappait à l’impôt sur la fortune que parce qu’il n’était pas encore inventé. Un autre exemple nous est donné par la zizanie qui a connu un parcours en zig-zag. D’abord mauvaise herbe apparentée à l’ivraie dans la Bible, la zizanie devint au Moyen-Âge la méchanceté avant de devenir une semence très prisée pour désorganiser la vie des groupes, partis politiques et associations.
(3)- L’expression « bête comme ses pieds » date de la fin du XIXème. Elle est bâtie sur l’idée que l’intelligence se trouve du côté du chapeau et que plus on s’en éloigne plus elle se délite inexorablement. Être bête, c’est bête à dire mais c’est tellement bête qu’il faut des comparaisons pour bien en prendre la mesure. Nous avons « bête comme ses pieds » qui nous convient parfaitement pour caractériser la plupart de nos contemporains. D’autres en Europe, ont dû trouver d’autres comparaisons. Les anglais pour des raisons sur lesquelles je ne m’étendrai pas ici possèdent le meilleur échantillonnage de « bête comme ». Ils disent : « bête comme un âne », mais aussi « bête comme un trou de serrure ». Et aussi « bête comme un carton de pierres » ou « bête comme une poignée de porte ». C’est profondément injuste quand on sait le mal que se donnent certaines poignées de porte pour nous autoriser un libre accès vers la sortie. Mais ces comparaisons ne suffisent pas toujours. Ou alors est-ce pour éviter des redondances ? Toujours est-il qu’ils disent aussi de façon plus alambiqué ou sous l’effet de l’alcool : « il n’est pas le couteau le mieux affuté du tiroir » ou bien encore :
« il n’a pas ses avirons qui trempent dans l’eau » ou « il n’a pas son ascenseur qui va au dernier étage ».
(4)- Une petite citation puisque la température ambiante s’élève : « Mieux vaut avoir l’air conditionné que l’air stupide ». Jean-Loup Chifflet.