Rubrique. Grands Mots, Grands Remèdes : Dindons

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Beaucoup de nos expressions sonnent à nos oreilles comme des évidences mais cachent en réalité bien des mystères que l’on ne prend pas même la peine de scruter de plus près.
Ainsi, d’où nous viennent : c’est du pipeau, faire mouche, à potron-minet, c’est une
autre paire de manches… ? (1)
Je lisais tantôt que tels ou tels de mes concitoyens se plaignaient d’être les « dindons de la farce » (2).
Le dindon descend directement de la dinde après que l’œuf ait incubé pendant vingt- huit jours. Ça parait long pour ceux qui attendent mais c’est l’usage (3). La dinde fut ainsi nommée parce que les conquistadors espagnols l’ont rapportée d’Amérique qu’ils croyaient bien à tort être l’Inde, faute de GPS actualisé dans sa dernière version payante. C’était peu avant Noël mais on n’a pas retenu en quelle année.
La dinde traine une solide réputation de stupidité. Je ne saurais me prononcer n’ayant jamais creusé le sujet faute de temps (4).
Mais revenons à notre propos : comment en arrive-t-on au « dindon de la farce » ?
Être le dindon de la farce c’est être dupé, moqué, et être la risée du public.
L’origine de l’expression mérite d’être contée car elle montre jusqu’où peut aller la bêtise humaine. Au XVIIIème siècle, Paris se réjouissait d’un spectacle de foire d’un goût foireux. Des bateleurs et bouffons disposaient quelques dindons sur une tôle chauffante clôturée, dans un lieu fréquenté de la ville et l’on s’esclaffait de les voir s’agiter à mesure que montait la température (5). Faire dandiner le dindon était une farce joyeuse et bon enfant. Naturellement, on n’oubliait pas de faire circuler un chapeau pour recueillir les quelques pièces qu’avait bien mérité celui qui réglait le chauffage et allait au charbon.
Le public ravi fit bientôt sienne l’expression : « être le dindon de la farce ».
On est heureux de vivre une époque des plus civilisées.

Notes relatives à ce texte :

(1)- En deux manches et la belle ! L’expression vient du temps moyenâgeux où -dans
un souci d’économie- on changeait, quand un habit s’usait, seulement les manches
en général les premières à partir en guenilles. Ainsi en 1640, quand une situation
changeait du tout au tout on disait « c’est une autre paire de manches ».
Dans la tradition médiévale le chevalier qui remportait la première joute recevait en
trophée une manche de sa dame. Il la montrait fièrement à la pointe de sa lance. S’il
avait de la réussite ou du talent il pouvait bientôt enlever la deuxième manche. Et s’il
était le Teddy Riner des tournois il enlevait les deux manches et la belle. Chacun
peut comprendre…

(2)- Dès son arrivée en Europe la dinde connut un succès d’estime. Dans les
maisons chics elle remplaça bientôt, dans les coquelles et caquelons, le paon qui
n’avait pourtant pas démérité. On vénéra un peu plus encore ses plumes à titre de
dédommagement.
Louis XIV adorait les dindes. Au point qu’en leur honneur le roi Soleil fit construire
une royale volière au château de Versailles et qu’il nomma un « capitaine des
dindons du Roy ».

(3)- Et en même temps vingt-huit jours ça n’est pas si long. Ceux qui attendent tous
les mois la pleine lune, le nez au vent, doivent se montrer tout aussi patients. Quant
à la gestation de l’âne, elle est de douze à treize mois avec une moyenne à 373
jours. C’est plus de 13 fois plus long que l’incubation de l’œuf de dinde. Je vous
laisse juge : est-il raisonnable d’attendre 13 fois plus longtemps l’arrivée de l’âne que
l’arrivée du dindon, quand on sait que l’âne est de surcroit saboté dès sa naissance ?
Chacun choisira et prendra position en son âme et conscience.

(4)- La dinde est-elle stupide ? On a envie de répondre : « Non ! si elle l’était ça se
saurait ». Il est probable que la dinde, comme tant d’autres oiseaux, est victime de la
misogynie qui régnait avant que le mouvement #Mee Too mette un point final à la
controverse. La dinde n’est pas sotte et prétentieuse. C’est acquis ! Mais il faut
reconnaitre que c’est une réputation qu’elle a bien cherchée avec sa démarche et sa
façon de se pavaner qui porte ombrage au commun des mortels à la démarche
souvent beaucoup plus modeste. C’est parfois à se demander si la dinde n’est pas
une bécasse ou même une grue.
Une légende dit que les dindes lèvent les yeux au ciel quand il pleut et qu’elle se
noient. Ce sont des ragots qu’on aimerait voir cesser une bonne fois pour toute.

(5)- Le dindon de base ignore l’effet Leidenfrost qui dit qu’une fine particule de
vapeur se crée à partir d’un liquide sur une plaque très chaude, vapeur qui isole
ensuite de la chaleur. Ne le faites pas chez vous ça peut ne pas marcher à tous les
coups.
Jules Verne utilise cet effet pour expliquer la protection par leurs larmes des yeux de
Michel Strogoff exposés à une lame chauffée au rouge quand il est agressé par les
tartares qui en aurait bien fait un steak éponyme.