J’ai décidé de rester optimiste, et positive comme ton journal, m’a dit ma voisine l’autre jour en revenant d’une séance d’Elephant man, le chef d’œuvre de David Lynch, le réalisateur génial qui vient de mourir. Je te raconte, elle a ajouté.
J’entre dans une salle et là, un type que je n’ai jamais vu de ma vie me dit bonjour. Je suis limite choquée, tu vois. Rien dans mon attitude ne pouvait laisser penser à ce type, somme toute très élégant, qu’il pouvait se laisser aller à tant de civilité et de bienséance (au ciné c’est drôle ça). Il a dit bonjour, comme ça. J’ai vite compris que c’était un réflexe, sans doute était-il bien élevé, mais quand même, d’habitude, c’est plutôt le contraire, les gens font la gueule et t’ignore, gênés comme dans un magasin de porcelaine.
D’ailleurs moi aussi j’ai arrêté les politesses publiques, les dix dernières fois où j’ai salué quelqu’un en arrivant à la table d’un restaurant où dans un train, je n’ai pas eu de réponse. Pas le moindre geste. Je devais ressembler à John Merrick, l’homme éléphant. Mais j’ai besoin qu’on m’aime et qu’on me dise bonjour et au revoir, merci et bonne journée, comment ça va et qu’est-ce que je peux faire pour vous.
À force qu’en manquer, j’ai été choqué par la politesse du type du ciné, qui en plus a souri. J’ai répondu du bout des lèvres « bonjour » et je me suis enfoncé dans mon fauteuil, désorientée par cette charmante agression.
À la fin du film, j’ai pleuré et j’ai cherché le type pour lui dire au revoir, mais je ne l’ai pas trouvé, peut-être n’avait-il jamais existé. Je suis rentré chez moi en saluant tous les passants, comme ceux qui se croisent sur un chemin de montagne, à cet endroit étrangement les gens le font spontanément, leur cerveau étant sans doute plus aéré. Je n’ai pas eu de réponse, comme moi avec le type du ciné. Mais un autre homme, qui ressemblait plus à John Merrick qu’à Brad Pitt, m’a répondu, bonjour bonne soirée. On s’est souri. Il n’en faut pas beaucoup parfois pour rester humain, et optimiste. On n’est pas des monstres, a conclu ma voisine.
Par Éric Genetet