Filer à l’anglaise

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Gérard Bouvier.

J’ai souvent succombé dans cette rubrique au plaisir de mettre en boite nos voisins
anglais. J’avais tort.(1)
J’aurais dû balayer devant ma porte ne pas railler leurs expressions tirées par les
cheveux quand nombre des nôtres ne valent pas un pet de lapin (2). J’ai fait chou
blanc puisqu’ils n’ont pas pris la mouche (3). Mais j’ai le cafard. Ne cherchez pas
midi à quatorze heures : si je travaille du chapeau, c’est simple comme bonjour, c’est
que j’ai une araignée dans le plafond ! Aujourd’hui, je prends le taureau par les
cornes : je prends mes jambes à mon cou et je file à l’anglaise sans traîner les pieds
pour aller désormais les brosser dans le sens du poil. Il faut savoir faire amende honorable plutôt que de noyer le poisson (4) en le glissant sous le tapis. Après tout,
boire le calice jusqu’à la lie, ça n’est pas la mer à boire !
Beaucoup de leurs expressions valent leur pesant d’or et sont frappées du coin du
bon sens.
Ainsi, ils disent « clair comme du cristal » qui m’explique mieux que « clair comme de
l’eau de roche ». Et « arriver aux genoux d’une sauterelle » est plus logique qu’être
haut comme trois pommes dont l’alchimie acrobatique effraie.
« C’est six de l’un et une demi-douzaine de l’autre » a plus d’allure que « bonnet
blanc et blanc bonnet » tant leur arithmétique me parait plus seyante que notre
lingerie démodée. « Rapporter le lard à la maison », disent les anglais quand nous
disons « décrocher le gros lot ».
Et si je mets mon nez partout, John, lui, « met son doigt dans chaque tarte ». Et il me
dira que « chez moi les lumières sont allumées mais que la maison est vide ». Je
sais je n’ai pas toute ma tête.
Mes préoccupations sont une tempête dans un verre d’eau quand pour Margaret
c’est « une tempête dans un verre de thé ». La class !

Notes de l’auteur pour une meilleure compréhension du texte :

(1) – Mais il faut bien reconnaitre que souvent la tentation est forte. Comme par
exemple quand ils continuent de sacrer leur Roi comme si Léon Zitrone était encore
de ce monde.

(2) – Voilà bien ici une de nos expressions les plus étonnantes car -enfin !- qui
imagine, sur le marché du jeudi, un étal avec un pet de lapin où serait plantée une
étiquette annonçant avec une fierté surjouée : « 2 euros le pet. Provenance France.
Issue de l’agriculture biologique. 6 euros les trois pets ». On voit bien que cette
expression ne vaut pas tripette et qu’elle est complètement à côté de la plaque !
Je ne m’énerve pas, j’explique.
Si l’on veut remonter par les voies naturelles à l’origine du pet de lapin on en retrouve
la trace au XIXème siècle. Je dis comme vous ! Cet intérêt pour les flatulences de ce
léporidé est donc bien récent ! Nous avons vécu de façon très brutale et inattendue
un brusque changement de paradigme vers l’an 1800 alors que rien ne nous y
prédisposait. C’était une dizaine d’années après la Révolution française, sans qu’on
sache s’il y a un rapport de cause à effet. Auparavant on disait « ça ne vaut pas un
pet de coucou ». Les linguistes les plus affutés ne retrouvent pas la cause de cette
déchéance subite, vertigineuse et sans contrepartie du pet de coucou. Un pet qu’on
avait à l’époque bien en tête. Mais les faits sont là. Et les faits sont têtus. Fussent-ils
vexatoires…
La question brûle les lèvres : comment font les étrangers pour exprimer la même
idée ? Les allemands disent « ça ne vaut pas un fifrelin ». Le fifrelin de Pfifferling est
chez eux une girolle -autrement dit une jaunotte, restons comtois- qu’ils assimilent à
une chose sans valeur. Faute de goût ! Mais tant mieux ça nous en fera plus pour
nous… Le fifrelin est devenu un mot désuet, vieilli et il a déserté nos discours. Mais
curieusement, alors même que le fifrelin ne vaut pas un pet de lapin, c’est sa sous-
unité le sous-fifre qui nous est restée. Comme quoi l’évolution du langage est piégeuse et doit être suivie au jour le jour. Aux Etats-Unis on dit to not be worth a
bucket of warm piss ce qu’on peut traduire par « ne pas valoir un seau de pisse
tiède ». On voit bien qu’en matière de poésie on a pris un peu d’avance.

(3) – Prendre la mouche ne dévoile pas son sens au premier regard. Au XIVème
siècle, « prendre mouskes » c’était être pris pour cible par un de ces insectes volants
désagréables : mouches, guêpes, moustiques… et autres tavins (taons). Et encore il
n’y avait ni le frelon asiatique ni le moustique tigre.

(4) – Noyer le poisson : voilà bien une de nos plus bêtes expressions, rivalisant avec
« une de perdue, dix de retrouvées » que je n’ai toujours pas digérée depuis mon
adolescence. Bref…
Certains prétendent qu’une sauce relevée fait diversion et permet d’oublier, en la
noyant, l’odeur ammoniaquée du poisson hors d’âge. Cette odeur nauséabonde est
due à la dégradation de l’oxyde de triméthylamine (TMAO) qui permet à ce nageant
de survivre en eau froide et de résister aux pressions en eaux profondes. Je vous le
signale parce que j’adore rendre service. Et il ne me déplairait pas que grâce à cette
rubrique -et de façon très inattendue- vous puissiez briller en société.
Cachons ces odieuses pratiques de l’art culinaire sous le tapis et convenons plutôt
d’une autre origine. Au XIXème siècle, les pêcheurs n’étaient pas musclés comme
aujourd’hui car nous étions avant le Nutella et les chips avec le troisième paquet
gratuit. Ils tiraient donc sur la ligne à hue et à dia, une fois le poisson ferré, pour lui
sortir de temps en temps la tête hors de l’eau. Le but de cette manœuvre
comminatoire était de fatiguer le poisson plus vite que le pêcheur de façon à ce que
le meilleur gagne. Si c’est le pêcheur qui perdait on appelait ça un « échec ». De
l’ancien français eschec (1080) venant lui-même du francique skak. Ne restait plus
qu’à manger plutôt de la volaille. Ou des navets.