Quel rapport entre un ours polaire veillant la banquise groenlandaise, une tortue luth explorant les profondeurs du lac des Rousses, et un gorille voyageant à travers la jungle gabonaise ?
Réponse : tous sortent tout droit de l’atelier de Pascal Bejeannin, sculpteur champagnolais bien connu, qui a lancé un ambitieux projet « L’art témoin du monde ». Un projet qui vise à mettre en lumière des hommes, des animaux, des ethnies parfois méconnus ou menacés.
Dernier épisode en date, les pérégrinations d’un gorille au Gabon. Depuis Libreville, le but du ‘jeu’ consistait à rallier Franceville via 1.500 kilomètres de piste défoncée par des camions « roulant comme des fous », avec quelques escales dans la jungle épaisse. Il s’agissait aussi et surtout de partir à la rencontre des gabonais en utilisant Mekka Mui (le nom de sa sculpture en acier de 120 kilos) pour briser la glace et échanger plus sincèrement sur leur pays.
« D’habitude, le noir est l’ami du blanc car il a de l’argent » confie t-il avec réalisme aux détours de ses expéditions en Afrique en tant que logisticien pour Médecins sans frontières (MSF), mais Mekka Mui a servi de sésame.
Selon Pascal Bejeannin, les gorilles qui peuplent la jungle gabonaise ne sont plus menacés de disparition depuis que le pays a pris le virage de l’éco-tourisme : « Les éléphants aussi sont protégés, même lorsqu’ils piétinent les cultures des villageois dans la savane. On trouve souvent des villages fantômes, abandonnés par leurs habitants partis vivre en ville, car comment édifier des barrières face à des éléphants ? ».
Changer un peu le monde ?
Mais l’aventurier et son équipe ont trouvé situation plus critique : « Nous sommes allés à la rencontre de deux tribus pygmées », une ethnie méprisée depuis toujours. « Le gouvernement ne leur fournit pas les moyens de se protéger ou de vivre » narre Pascal Bejeannin qui a rencontré chez eux un drôle d’olibrius.
« Nous avons passé une nuit dans un village pygmée dont le chef un peu louche se faisait appeler ‘Son Excellence’. Pour l’approcher, il fallait tourner autour d’un arbre, accomplir une sorte de rituel et les femmes du village se prosternaient devant lui » raconte Pascal Bejeannin. Une sorte de gourou que le champagnolais n’a pas du tout encensé.
L’artiste garde en effet un faible pour les opprimés de manière générale -son côté ex-casque bleu sans doute- puisqu’il s’enrôla auprès de l’ONU dans sa jeunesse pour protéger des populations civiles. D’où un autre projet qui vient de se matérialiser au Kurdistan pour rappeler que 40 millions de personnes vivent actuellement dans la précarité, voire la terreur (lire encadré).
L’homme qui a plus d’un tour dans son sac, s’est aussi attaqué à un emblème du massif jurassien : le lynx. Adulé par les uns, accusé par les autres, il s’agira ici encore d’être juste là pour susciter les échanges, nourrir les réflexions, et qui sait changer un peu le monde ?
Stéphane Hovaere
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L’Afrique d’ouest en est…
Les tribulations de Makka Mui ne s’arrêteront pas au Gabon. Actuellement exposée durant un an dans un institut gabonais, la sculpture reprendra la piste en 2023 vers l’est direction les deux Congos voisins, en particulier la République démocratique du Congo (RDC). « Un pays en proie à la guerre civile depuis plus de 50 ans; très pauvre, mais pourtant riche en or, pierres précieuses et minerais rares que des gamins extraient dans des mines à ciel ouvert » explique Pascal Bejeannin.
Cherchez l’erreur… On comprend mieux en voyant l’ex-palais présidentiel de Mobutu, un vrai Versailles édifié en pleine jungle. Avant de repartir vers l’est direction le Kenya, Mekka Mui fera aussi une halte symbolique d’un an dans l’hôpital de Denis Mukwege. Surnommé « l’homme qui répare les femmes », le gynécologue prix Nobel de la paix opère les victimes (plus du million) d’un pays qui a consacré le viol comme arme de guerre.
L’Arbre de vie pousse au Kurdistan
Artiste caméléon, Pascal Bejeannin a toujours un projet sur le feu, ou plutôt au bout de son fer à souder. Et c’est à Qamichli, au Kurdistan syrien que le globe-trotter posera en principe ses valises durant l’été 2023 pour assembler « L’arbre de vie ». Un voyage différé en raison de bombardements turques, et d’une situation géopolitique très instable.
Selon l’artiste, « il s’agira d’une sculpture en forme d’olivier -arbre symbolique de vie pour les Kurdes- » de grande taille (plus de 6 ou 8 mètres) qui sera en partie constituée d’armes de guerre récupérées sur les champs de bataille. Restes d’obus, de kalachnikovs, ou de mortiers s’élèveront ainsi dans le ciel syrien tels l’arbre renaissant des décombres encore fumants d’une guerre sans fin. Un symbole puissant, dont l’artiste est coutumier, pour mettre en scène l’annihilation du peuple kurde, « le peuple sans pays le plus important au monde » avec selon lui 40 millions d’âmes tentant tant bien que mal de survivre entre Irak, Iran, Syrie et Turquie.
Des pays peu connus pour leur respect des droits de l’homme et leur louable démocratie…Selon Pascal Bejeannin, les exemples d’exactions ne manquent pas, comme ces drônes turcs survolant l’espace aérien kurde et bombardant des véhicules suspects. Il faut dire que les kurdes haïs par leurs pays de résidence professent un islam laïcisé, égalitaire et où les femmes ont droit de cité.
Selon l’artiste qui connaît bien cette région, le régime turc va jusqu’à incendier des champs d’oliviers tout en bloquant l’eau de l’Euphrate sur ses barrages hydroélectriques, pour affamer la population kurde située en aval. Des faits souvent passés sous silence, mais mis en lumière grâce à ce projet artistique qui permettra également d’ériger autour de l’Arbre de vie un mémorial dédié à toutes les victimes de guerre.
Après le passage de l’artiste champagnolais sur place, des artistes kurdes continueront à faire grandir cet édifice et à y apporter leur pierre.