Rubrique. Grands mots, grands remèdes…Nos tics

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Nous avons tous des tics qui s’insinuent dans notre langage courant (1).
J’écoutais tantôt une youtubeuse qui expliquait avec beaucoup de talent quelques
notions d’astronomie.
Le propos était alerte et gracieux mais, hélas, cette star du ciel étoilé le ponctuait
d’un grand nombre de « du coup ». Je me suis vite surpris à décrocher du texte
pour… compter les « du coup ». Il y en avait déjà 17 à la cinquième minute !
Du coup, je me suis détourné du sujet.
Ce « du coup » envahit souvent nos propos. Que signifie-t-il vraiment on serait en
peine de l’expliquer (2).
Il vient s’ajouter subrepticement à la liste de nos conjonctions de coordination : mais,
ou, et, donc, or, ni, car… du coup ! (3).
Bref ! Voilà, quoi ! Du coup, au final , en fait, ça devient quelque part au bout du bout
grave difficile à suivre, j’avoue. Et en même temps, c’est bon quoi ! Tout baigne ! Pas
de soucis… moi perso, je dis ça je dis rien, tu vois ? (4)… Il faut faire sens, c’est pas
faux, mais incessamment sous peu, et du coup, bin voilà ! T’es OK ? Bon ! C’est
clair ! Je gère… Tant mieux parce que, disons que de base -honnêtement- des fois je
suis carrément en mode limite au bout de ma vie.
Point-barre…
En Comté, nos tics de langage visent plutôt à ralentir nos phrases à l’instar de nos
voisins suisses. Une façon de tourner sept fois sa langue dans sa bouche pour
préparer la suite de son discours et s’éviter quelques bévues (5).
Le Comtois ajoute des « bin de dzou ! », des « c’est rien de la dire », « faut y voir
pour y croire », « c’est pas dieu possible »,« c’est bien un monde », « j’te jure » et
cerise sur le gâteau comme Laurence Sémonin : « quand on voit c’qu’on voit, et
quand on sait ce qu’on sait, on a bien raison de penser ce qu’on pense et pis d’ne
rien dire » (6).
Cause toujours !

Notes pour éclairer ce texte :

(1)- Le ticq est né en 1611 avant de perdre son Q en 1668, l’année même où la
reine-mère Anne d’Autriche mourait d’un cancer du sein. Vous vous doutez bien qu’il
n’y a aucun rapport. C’est aussi l’année d’une terrible sècheresse estivale qui
conduisit à anticiper les vendanges en Bourgogne au 10 septembre. Grands dieux !
On n’était pas près de revoir la même !
Au début le tic désignait une affection du cheval où une contraction intempestive de
certains muscles provoquait une régurgitation spasmodique. Je ne vous en dis pas
plus : c’est assez dégoutant et ça pourrait bien vous procurer le même inconfort.
Ce tic fut vite assimilé (en 1736) aux gestes automatics et répétés de façon ridicule
puis aux pensées qui se comportent de même car c’était bien plus pratic que les
antics façons de dire.

(2)- S’il y en a trop, les « du coup » oui ! ça fait mal !

(3)- La langue évolue se défendait récemment une bavarde en léchant son sorbet.
C’est vrai et certains linguistes nous disent que l’on aurait tort de réfuter « du coup »
qui a le sens d’aussitôt et qui est parfaitement légitime.
Bien sûr mais cette locution est rarement employée pour dire aussitôt.
Alors du coup je réfute ou du coup je garde ?

(4)- Je dis ça, je dis rien est aussi un tic de langage qu’on retrouve souvent et tout
aussi souvent attaqué par les défenseurs de la belle langue. Soyons prudents :
l’expression nous vient des Bronzés et de la troupe du Splendid. Un référence au-
dessus de tout soupçon.

(5)- « Le sage tourne sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler ». C’est
Salomon qui nous délivre ce conseil dans Le Livre des Proverbes au Xème siècle
avant J.C. Ce conseil en a probablement sauvé plus d’un puisqu’il est repris dans de
nombreuses civilisations.
« Ménager sa langue, c’est ménager son avenir » disent les anglais.
« Il faut mâcher les mots plus qu’un morceau de pain » renchérissent les Géorgiens.
Les hindous contre-attaquent : « Donne un frein à ta langue de peur que des mots
s’en échappent ».
Les Turcs dont l’Histoire fut parfois violente ont retenu cette leçon : « Qui garde sa
langue garde sa tête ». Et les grecs qui ne sont jamais bien loin des turcs ajoutent :
« Si tu gagnes de l’argent à parler, n’oublie pas que tu gagnes de l’or à te taire ».

(6)- La phrase est forte et criante de vérité. C’est sans doute pourquoi il en existe
plusieurs versions et qu’elle est attribuée à différents auteurs. Et pour certains c’est
même un proverbe suisse. Manquerait plus ! me souffle la Marie-Madeleine…
Les suisses disent : « Quand on sait ce qu’on sait, quand on voit ce qu’on voit, on a
raison de penser ce qu’on pense ». La formule est édulcorée mais pour un suisse
c’est un bon début.
Pierre Dac (1893-1975), loufoque et philosophe s’en rapprochait lui aussi qui disait
(repris plus tard par Guy Bedos) : « Quand on voit ce qu’on voit, qu’on entend ce
qu’on entend, et qu’on sait ce que qu’on sait, on a raison de penser ce qu’on
pense ». Lola Sémonin notre comtoise grand cru a rajouté « et pis d’ne rien dire ».
Ce rajout parait peu de chose, mais il le fallait.