Jura. L’invité de la semaine : Patrick Abraham

Rencontre avec le secrétaire départemental de la Confédération paysanne, en pleine tourmente du monde agricole.

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Patrick Abraham.

Patrick Abraham, selon vous, pourquoi et comment en arrive-t-on à la situation explosive d’aujourd’hui ?
Comme on le dénonce depuis des décennies, la politique agricole est gérée avec une vision libérale des gouvernements successifs, appuyés par le syndicat majoritaire, et sous la pression de la commission européenne.
La situation d’aujourd’hui n’est que le regrettable résultat d’une politique consistant à pressuriser les gens, entretenant une extrême concurrence entre producteurs.
Il y a donc forcément du dumping, de la casse sociale, environnementale et économique.
On nous demande de produire à bas coûts mais avec des normes environnementales contradictoires. Comme d’inciter à l’usage de pesticides, devenu facteur de compétitivité, au détriment de notre santé et des générations futures….

Que préconisez-vous pour désamorcer le conflit et éviter l’embrasement ?
Il est évident que les réponses à court terme ne seront pas les bonnes.
La pression est mise sur le gouvernement avec pour objectif d’ affaiblir le droit de l’environnement. C’est aller ver le pire !
Même chose si l’on s’oriente vers des rallonges budgétaires ou des cadeaux fiscaux sur le carburant. En clair, nous craignons que le gouvernement baisse la garde sur la défense du climat et de l’environnement.
Ce qu’il faudrait vraiment ? C’est un véritable projet politique global : une agriculture paysanne, des exploitants nombreux et diversifiés, bien rémunérés, produisant une alimentations saine et de qualité. Cela, en économisant les ressources rares et en utilisant les ressources abondantes.
Ce qui nécessite plus de démocratie dans la gouvernance de la politique agricole, plus de représentativité, à commencer par celle à la Chambre d’agriculture, afin de pouvoir avancer, projet contre projet.

Que répondez-vous au consommateur qui argumente de ne pas ou plus pouvoir acheter français, et encore moins bio, car « c’est trop cher » ?
A partir du moment où qu’il s’agisse d’environnement, de social et d’économique, on externalise les couts, on obtient toujours des produits plus bas. On trouvera donc toujours pire et moins cher que nous quelque part.
Cela est du à cette pratique de libre échange, de concurrence avec des pays voire des continents, qui n’ont ni les mêmes contraintes environnementales, ni les même normes sanitaires, ni les même règles de circulation.
C’est pourquoi nous nous battons afin de faire cesser ces accords de libre échange et l’opacité dans lesquelles ils sont tenus, comme avec la Nouvelle-zélande dernièrement.
Cette politique irresponsable veut tout et son contraire.

Sur le plan local, quelles actions prévoyez-vous ? Qu’entreprenez-vous pour faire valoir votre cause ?
Notre exercice syndical se déroule toute l’année.
On essaye de siéger le plus souvent possible au sein des instances agricoles pour défendre les droits des paysans et lutter contre la spéculation foncière. Dans le Jura, nous réagirons au fil des annonces gouvernementales.
Ce qui est certain, c’est que nous sommes porteurs de réponses face à cette colère exprimée, mais des réponses bien différentes que celles apportées par le syndicat majoritaire !

Après avoir été pendant des années (au même titre que notre système de santé) comme étant celui prétendu « le meilleur du monde », notre modèle agricole semble avoir du plomb dans l’aile. Comment envisagez-vous son avenir ?
Nous pensons qu’il faut doubler voire tripler le nombre de paysans.
Il y a eu l’agrandissement à marche forcée des exploitations, puis la mécanisation, puis les pesticides, les engrais, avec les conséquences que l’on sait. Notamment la baisse de la qualité nutritive et agronomique, comme l’appauvrissement des sols. On a détérioré l’outil de travail. Il faut faire demi-tour.
Revenons à un modèle raisonnable, avec une limitation de l’impact environnemental, de la diversification sur les territoires, des circuits courts.
Tout ce à quoi n’invite pas la politique nationale aujourd’hui, schizophrène entre les injonctions et les moyens.
La solution aux problèmes ne pourra pas venir des causes qui les ont engendrées.
Ceux qui ont allumé le feu, ne peuvent prétendre aujourd’hui l’éteindre.
Je m’étonne d’ailleurs de la virulence avec laquelle nos militants sont souvent appréhendés lors de manifestations pacifistes, mais cet inexplicable laisser-faire du gouvernement, face aux activistes et aux mouvements beaucoup plus radicaux, provenant d’autres syndicats…