Rubrique. Grands Mots Grands Remèdes : Bon Appétit et Bonne Année

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Docteur Gérard Bouvier
Docteur Gérard Bouvier

Pour cette fin d’année, vous en reprendrez bien une cuillère…

Au XVIème siècle, le réveillon était un repas pris en soirée. Il fut remplacé par le souper et le réveillon se spécialisa dans le repas de fête qui s’étend tard dans la nuit obligeant ainsi à rester longtemps réveillé (1). À la fin du XVIIIème, il devient le repas de la nuit de Noël et au début du XXème il déborde en toute laïcité sur les fêtes du Nouvel An.

La Percée Du Vin Jaune

L’apéritif est un vieux terme médical. Il est censé ouvrir les voies d’élimination : de la purge aux diurétiques. Heureusement, depuis 1850 l’apéritif ouvre seulement l’appétit et c’est chez Maupassant qu’il devient une boisson alcoolisée (2).

L’amuse-gueule est un leurre pour tromper la faim. Les restaurants chics par souci de bienséance le remplacent par l’amuse-bouche moins bourratif (3).

Les huîtres se voient ajouter un « h » depuis le XVème. C’est qu’auparavant le « u » et le « v » étaient confondus et il eut été imprudent de manger des… vitres ! (4). Chez les grecs, la coquille d’huître, ostrakon, servait à voter le bannissement des indésirables.

Longtemps l’huître fut un plat du pauvre. Et l’on faisait au XIXème des concours à qui en engloutirait le plus comme nous faisons aujourd’hui avec notre cancoillotte. On dit que Casanova, célèbre séducteur, en avalait 50 chaque matin pour entretenir sa libido. (5)

Il y a 4 500 ans, les égyptiens remarquèrent que les oies se gavaient en prévision de leurs longues migrations. Les romains adoraient les foies d’oies gavées aux figues et c’est du mot figue (ficatum) que naquit le français « foie ».

La dinde, autre star des réveillons, doit son nom à une célèbre erreur. Les conquistadors arrivés en Amérique avec Christophe Colomb, faute de GPS, se croyaient en Inde et ils appelèrent poule d’Inde ce volatil goûtu. Les anglais l’appellent turkey car ils le croient venu de Turquie…

Notes pouvant être utiles pour compléter ce texte

(1)- L’histoire des mots et expressions est fascinante. Ainsi réveillon au XVIIIème fit un pas de côté sémantique aujourd’hui tombé dans l’oubli. Dans le vocabulaire des Arts, il a pris le sens dans le dictionnaire de l’Académie de 1752 de « touche lumineuse qui réveille une toile ». Cet emploi a disparu.

(2)- Le Crémant du Jura a obtenu son appellation par décret du 9 octobre 1995. Il participe, soit seul et bien frais, soit accompagné de crème de fruits, à nombre d’apéritifs comtois. Nos voisins dijonnais avaient ouvert la voie avec le blanc-cassis mélange subtil de blanc de Bourgogne aligoté et de crème de cassis. Les fastes naissants des Trente Glorieuses et le chanoine Félix Kir, longtemps maire de Dijon, ont enrichi le mélange en introduisant crémant ou champagne en remplacement du blanc d’origine. Son usage systématique dans les réceptions officielles bourguignonnes ont fait du patronyme du chanoine un nom commun.

(3)- La bourre (du latin burra, étoffe grossière à longs poils) est parmi les mots les plus anciens de notre langue. Les savants ne savent pas se prononcer quand on leur demande s’il était nécessaire pour construire « bourratif » de rajouter à tous ces poils de bourre… des tifs.
Le bourrelet est un cylindre de tissu rempli de bourre. Certains le portent à la taille pour se protéger des chocs mais d’autres trouvent cette tournure choquante. Chacun fera selon son appétit.
Le vin bourru ou le lait bourru, ou encore un beau-frère bourru, ont la rudesse des étoffes grossières.

(4)- L’histoire du mot « huitre » est un peu dure à avaler. Autrefois, au temps du latin classique, on appelait ostrea ce mollusque marin bivalve. Il est devenu oistre vers 1270 et jusqu’au XVIIème. Mais, à l’usage, il s’était muté en uistre.
Au XVème on avait eu la prudence pour ce fruit de mer gobé de rajouter un « h ».
Aspiré ! C’est que l’uistre pouvait du fait de l’équivalence -à l’époque – du « u » et du « v » devenir aussi bien uistre que vistre.
De la fin du Moyen-Âge à la Renaissance, lentement les is-, es-, os- souvenirs des origines latines des mots évoluèrent vers la disparition du « s » compensé par l’allongement de la voyelle qui précède par ajout d’un accent circonflexe. L’Isle devint l’île. La feste devint la fête. L’hostel devint d’hôtel. C’est ainsi que nous écrivîmes. C’est ainsi que nous dîmes. Et l’huistre devint l’huître.

(5)- Le rôle aphrodisiaque de l’huître est espéré depuis l’Antiquité. C’est dire le nombre de déceptions qui en découlent… Sa richesse en zinc et en micronutriments a pu conforter l’illusion.

Bonne année.