Grand-mère disait

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Gérard Bouvier.

« Il semblerait que… ». Voilà ce qu’on nous fait gober(1) bien souvent ! L’actualité
n’est pas de tout repos pour nos méninges et souvent l’on s’interroge sur ces
révélations entachées de bien des conditionnels. Faut-il croire là où l’on doute ?
Faut-il douter de ce que l’on croit ? Sachant que la vérité comme aussi le mensonge
se trouvent probablement à mi-chemin entre « et mon cul, c’est du poulet ? » (2) et
« promis-juré-craché, cochon qui s’en dédit ! ».
Ma grand-mère doutait souvent. Mais elle est morte de tout autre chose. Elle disait
d’un ton dubitatif : « je me demande ce qu’ils nous manigancent (3) encore… ». Elle
se posait la question aussi bien pour le débarquement de la Baie des Cochons de 61
que lors de la dissolution par Chirac en 97. Aujourd’hui le verbe est désuet mais la question demeure et l’on manigance toujours plein pot entre gredins, aigrefins,
forbans et fripons (4). Et même en Haut Lieu.
Ce verbe de la fin du XVIIème nous conduit sur le terrain de jeu des fripouilles. De
ceux qui bidouillent la vérité, qui grenouillent, qui frouillent, qui tripatouillent.
Méfions-nous de leurs bonnes bouilles. Elles cachent bien des carambouilles. Ils
gazouillent de belles bafouilles. Jamais avares de papouilles et de chatouilles ils
nous prennent pour des andouilles. Des nouilles ! Et bien souvent des niquedouilles !
Voire des pedzouilles…
Malgré leurs magouilles et carabistouilles ils ne sont jamais repris par la patrouille, et
de leurs embrouilles ils se débrouillent pour ne jamais rentrer bredouilles.
Ouille, ouille, ouille ! La morale de cette petite bafouille fout la trouille : ma grand-
mère avait raison, ils sont nombreux ceux qui souillent les réalités démocratiques et
scientifiques par leurs manigances.

Notes de l’auteur pour une meilleure digestion du texte

(1)- « Gober » date du XIIIème siècle et nous vient du gallo-roman gob qui signifiait
la bouche, le bec. En 1549, le verbe est clairement défini : gober, c’est avaler sans
prendre la précaution de mâcher. De là, un sens figuré s’impose bien vite et gober
devient tout avaler sans prendre le temps de la réflexion. À nos risques et périls
comme l’atteste en 1669 l’expression « gober l’hameçon ».
Dégobiller, c’est tout naturellement faire le chemin inverse de gober. Le verbe est
chaudement recommandé dans la Haute Société car dégueuler, de même sens et de
même construction est quelque peu vulgaire. Au point de ne figurer dans cette
rubrique qu’après bien des hésitations.

(2)- « Et mon cul, c’est du poulet » est une façon vulgaire et brutale d’exprimer un
doute, et souvent un refus. L’origine de l’expression est inconnue. J’ai mené de
longues recherches pour Hebdo 39 conscient de votre intérêt pour la chose. Car
c’est bien de la chose dont on parle. Dans L’École des Maris de Molière joué en 1661
on trouve acte II, scène III cette réponse d’Isabelle à une question de Sganarelle :

Vous n’avez pas été plus tôt hors du logis,
Qu’ayant, pour prendre l’air, la tête à ma fenêtre,
J’ai vu dans ce détour un jeune homme paraître,
Qui d’abord, de la part de cet impertinent,
Est venu me donner un bonjour surprenant,
Et m’a droit dans ma chambre une boîte jetée
Qui renferme une lettre en poulet cachetée…
C’est qu’à l’époque un poulet est, au-delà de la volaille, un petit billet d’amour qu’on
adresse aux Dames galantes sous réserve qu’elles le méritent. On le nomme ainsi
parce qu’en le pliant on y faisait deux pointes imitant les ailes du poulet.
Ainsi est établi clairement le lien entre le cul, l’amour et le poulet.
Comme tout est simple quand tout est bien expliqué !

Depuis 2013, l’expression jugée triviale a souvent été supplantée par « Non mais
allô ! Quoi ? » mise en scène par Nabilla Benattia à qui l’on doit aussi « C’est
toujours mieux d’avoir une personnalité que d’être platonique ».

(3)- La manigance est d’origine obscure. On trouve son origine dans le Traité des
reliques de Jean Calvin en 1543. Le latin manus, la main, a conduit au manigant en
1556 qui désignait l’ouvrier. La manipulation dans son sens figuré en découle. Mais
c’est bien sûr quand la maniance a signifié le gouvernement, l’administration que la
manigance a pris son essor.

(4)- Gredins, aigrefins, forbans et fripons… des mots surannées pour décrire une
activité qui pourtant se modernise de jour en jour.
De gredin, on ignore trop souvent le féminin gredine. De même qu’on fait mine
d’ignorer le grenadin pour faire la part belle à la grenadine. Gredin a d’abord désigné
un mendiant, un truand quand ce mot d’origine gauloise n’était pas encore frappé de
la malveillance de notre temps.
Un aigrefin est à l’origine un officier ou un soldat à la mine patibulaire et qui triche au
jeu. En plus !
Les Forbans sont un groupe de rock des années 80. Ils descendent de corsaires qui
au début du XVIème exerçaient la piraterie pour leur propre compte. Le nom vient de
forbannir qui en droit féodal désignait le bannissement, punition préconisée pour
cette activité illicite. Surtout quand elle était exercée à plein temps.
Le fripon et sa friponne étaient initialement (1340) de bons mangeurs et ripailleurs.
Mais avec l’augmentation du coût de la vie ils sont devenus des voleurs de bricoles
(1580) puis carrément des escrocs (1585). Le fripon est devenu un malfaisant. La
friponne a gardé la cote. Elle le doit beaucoup à Molière (encore lui !) quand dans le
Médecin malgré lui (acte I, scène 5) il fait dire à Sganarelle (encore lui !) :
Ah ma petite friponne, que je t’aime mon petit bouchon.
Ce passage est parfois oublié dans les cours de français du secondaire.