Rubrique. Grands Mots Grands Remèdes : C’est pas Dieu possible !

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Docteur Gérard Bouvier
Docteur Gérard Bouvier

La Marie-Madeleine ne m’a pas habitué à chouiner pour un oui ou pour un non (1). Elle n’est pas ravonneuse pour deux sous et ce matin-là j’ai bien vite compris en la découvrant couverte de gonfles et son dentier posé sur la table qu’elle avait dû toquer un bon coup.

Elle n’est pas la femme à piaûner mais là, on sentait qu’elle miserait plus que de raison (2). « -Vous y croyez pas ! J’ai bien cru sauter les piquets !

(3). C’était moins une. C’est mon escayer devant ma porte… Pensez ! Un escayer que j’ai déjà pris cent fois… Aussi bien pour le monter que pour le descendre, ça dépend ce que j’ai à faire, pardi ! Mais avec cette foutue poudrée qu’on se croirait guère en novembre, que j’ai pas même eu l’idée de dépeller…

(4). Je me pensais d’attendre le radoux. Pensez-vous ! Résultat des courses, je me suis étiaffé bien comme il faut

(5). Je me suis récupérée cul par-dessus tête en un rien de temps et juste quand passait le facteur, un fait exprès ma parole, c’est pas Dieu possible ! J’vous dis pas ce qu’il a dû penser le pauvre homme !
Il a dû penser : « -La Marie-Madeleine s’est cassé la margoulette ! »
Si la margoulette de la Marie-Madeleine fêtera ses quatre-vingt-six ans aux prunes, le mot même de « margoulette » est plus ancien encore. Selon nos linguistes les plus éminents le mot est dérivé de gula, la gueule, et s’est formé en 1649 (6). C’est l’année de la Fronde. Partout des révoltes contre l’autorité du roi et Mazarin qui fait encercler Paris par l’armée royale. Condé y ajoute le blocus et ce sera la famine dans Paris.
Bien sûr, ce conflit n’a rien à voir avec l’origine de la margoulette.

C’est Flaubert qui en 1864 évoquera en premier la fragilité de cette région exposée de notre anatomie et créera l’expression « se casser la margoulette ». Il a bien fait car la Marie-Madeleine continue d’en profiter.

Notes pouvant être utiles pour la lisibilité de ce texte.

(1)- Chouiner (on trouve aussi chougner) est apparu dans l’argot de la fin du XIXème siècle. Il y a bien longtemps que l’humanité pleurnichait et c’est un fait qu’il y avait de quoi. Mais cette onomatopée s’est imposée assez tardivement en s’appuyant sur le radical -ouign qui exprime avec harmonie le grognement répétitif du cochon et de tout autre être humain contrarié. Un conseil : ne chouinez pas si l’on vous marche sur le pied. Le verbe s’adresse plutôt à une douleur physique ou morale installée sur la durée. Mais en réalité, c’est vous qui voyez. C’est votre pied.

(2)- Piaûner se retrouve dans tout l’arc linguistique Est : Franche-Comté, Lorraine, Suisse Romande. C’est un verbe qui comme la Marie-Madeleine est régional et vieilli. C’est pousser des petits cris, geindre, pleurnicher. Il y a là aussi une origine onomatopéique de piau qui chez nous désigne des petits cris plaintifs.
Mais alors comment font les autres qui n’ont pas la chance d’être dans l’ar linguistique Est ? Vous allez rire : ils piaillent ou ils couinent. Continuons de piaûner tout notre soul… Et faites comme si on ne les voyait pas.

(3)- S’il y a peu de façons de naitre, il y a bien des façons de mourir. Comme l’aventure est souvent perçue comme effrayante nous avons trouvé bien des façons d’exprimer ce moment de façon charmante. Chez les comtois on dit passer les piquets. On entend par là le franchissement -sans retour possible- d’une frontière symbolique entre la vie et la mort. Bien sûr je simplifie.
En Comté, il peut nous arriver aussi de calancher. Ça n’est rien d’autre que d’être fauché par la camarde ou de rendre l’âme. On peut aussi casser sa pipe (ou sa vapoteuse) ou bien passer l’arme à gauche. Quoi qu’il en soit quand arrive l’heure du dernier rancoillot, le résultat reste le même : quand faut y aller, faut y aller.

(4)- Le préfixe -dé est fréquent dans la langue française. Mais nous avons chez nous tendance à en abuser. Là où beaucoup se contenteraient de peller, nous préférons dépeller. Et aussi Laurence Sémonin, la Madeleine Proust, nous raconte : « -J’ai souvent entendu défermer pour ouvrir ». Nous avons aussi dédevenir si l’on est mal en point. Et si l’on croise des jumeaux il nous faut parfois bien les observer pour les déconnaitre et éviter de les confondre.

(5)- S’étiaffer c’est s’affaler dans un bruit d’écrasement mou qui fait tiaff !

(6)- Gula en latin c’était la gueule. Mais le mot a beaucoup essaimé. Il est devenu la gorge, le gosier. Puis, familièrement, il se confond avec la figure : faire la gueule, drôle de gueule, gueule de bois, gueule cassée.
Comme la gorge est le lieu de la phonation on en est arriver à gueuler ou à pousser une gueulante.