Rubrique. Grands Mots Grands Remèdes : À contre sens

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Docteur Gérard Bouvier
Docteur Gérard Bouvier

La semaine dernière j’évoquais ici-même les mots nouveaux sélectionnés en 2026 pour faire leur entrée dans nos dictionnaires. Bienvenue aux petits nouveaux mais l’on aurait tort de tourner le dos aux anciens. Et surtout quelle grave erreur ce serait d’oublier ces autres mots dûment répertoriés mais qui, au fil du temps, ont vu leur signification prendre un chemin de traverse !


Ainsi, le vilain était au Moyen-Âge un paysan libre. Aujourd’hui, un paysan libre n’ est plus du tout vilain (1). C’est ce que m’affirme une amie qui en épousa un et qui va jusqu’à prétendre le contraire.

C’est que la langue évolue ! Et si cela parfois nous énerve, ne pardons pas de vue qu’être énervé au siècle de Molière c’était être sans nerfs, passablement affaibli par cette infirmité et bien démuni pour affronter les vicissitudes de la vie (2).

Autre « glissement sémantique », la garce était une jeune-fille du XIIIème au XVIème siècle. Elle était le pendant du gars avant de devenir une femme débauchée et pire encore. Il est vrai que la garce reste le plus souvent affublée de « belle » ce qui modère la débâcle. Car imaginer une garce très moche fait froid dans le dos. Même aux plus intrépides.
Mais le garçon lui-même a vécu un parcours parsemé d’embuscades. En 1080, le garçun était un goujat et un jeune homme de basse condition (3).

On connait aujourd’hui des garçons très fiers de sortir avec une meuf terrible. Meuf, né du verlan en 1981, est trop récent pour avoir évolué. Mais fier vient du latin ferus qui désigne une bête sauvage (4). Sortir, porte à l’origine en 1145, l’idée d’une tirage au sort ou d’un héritage. Et terrible, en 1130, désignait l’effrayant, l’épouvantable.

Les mots chantent à nos oreilles. Mais certains chantent faux, certains sautent des couplets et d’autres zozotent.

Notes pour rester dans l’ambiance :

(1)- Le mot vilain vient, en 1090, du bas latin villanus : l’habitant de la campagne d’où ce sens de paysan au Moyen-Âge. C’était au temps où une villa était une ferme. Il y eut bientôt une poussée démographique qui fit que les vilains qui habitaient les campagnes se retrouvèrent un jour bien nombreux et empilés par paquets. Et les vilains habiteront alors les villes. Mais vers 1120 le vilain est encore un paysan libre par opposition au serf. Plus tard, la servitude se faisant rare le vilain se différencia plutôt du noble.
L’évolution du sens du mot vilain montre le mépris qu’on avait en ces temps reculés pour le monde agricole. Vilain a signifié tour à tour poltron, avare, avant très vite (1200) de désigner la laideur physique et morale et même la saleté. Et quand une vilaine devint une prostituée, le vilain mal désigna la syphilis…

(2)- Vicissitude nous raconte aussi une évolution des mots. On part de vice qui indique une notion de changement, d’alternative comme dans vice-versa. Les évènements qui se succèdent sont heureux ou malheureux. C’est selon… Ça n’est qu’en 1795 que les vicissitudes devinrent à tous coups fâcheuses. Par contagion avec le mot vice qui introduit -comme dans un vice de forme- l’idée péjorative d’une grosse embrouille dans le changement.

(3)- Pour le garçon aussi les temps ont bien changé ! D’origine incertaine, le garçon pourrait bien trouver son origine dans un mot latin qui signifiait : l’esclave chargé de découper les mets. En 1080, quand tant de mots ont commencé à entrer dans notre langue, le garçon était un jeune homme de piètre condition. Il désignait un sous-fifre, un sans-grade surtout destiné à servir la clientèle. De ces emplois subalternes il reste des traces. Le garçon de café, le garçon de bureau. Le garçon de bains, lui, est passé à la postérité, dans les années 70, du fait de ses plaisanteries archétypes du mauvais goût. Par exemple recevant un monsieur un peu fort le garçon de bain regardant son tour de taille d’un œil goguenard dira : « je vous prépare la piscine olympique ? ». Ça n’est pas très drôle et les garçons de bains faute d’avoir su faire évoluer leurs propos sont en voie d’extinction.

(4)- Ainsi, fier cousine avec féroce. Encore une subtilité qui mérite le détour. Il y a bien longtemps, au temps des jeux du cirque il y avait chez les romains deux sortes d’animaux. Ceux qualifiés de mansuetus étaient domptés, apprivoisés, portés à la mansuétude malgré leur nuisance potentielle. À l’inverse les animaux qualifiés de ferus étaient difficiles à approcher car ils étaient tout en sauvagerie et cruauté. La même racine a donné farouche et féroce, c’est dire !
Curieusement un des personnages parmi les plus fiers de notre histoire se trouve être Artaban qui pourtant n’était qu’un arrogant malchanceux, personnage obscur de Cléopâtre, une épopée historique aujourd’hui oubliée.