Nous traversons une époque où les trancheurs de nœuds s’en donnent à cœur joie
et tranchent hardi petit. C’est naturellement des nœuds gordiens dont il s’agit. (1)
Mais qu’est-ce donc que ce nœud que tant de nos princes se plaisent à trancher
manu militari ? Et parmi les plus sérieux. Puisqu’après Alexandre le Grand nos
gouvernants d’aujourd’hui lui emboitent le pas.
Le nœud gordien nait chez les Perses en Anatolie. C’est une légende compliquée (2)
et on a vite fait d’en perdre le fil. Et si l’on tire sur un bout la légende devient plus
inextricable encore si bien qu’on finirait pas faire comme Alexandre le Grand mais en
plus petit : prendre son épée et en donner un bon coup en plein nœud quitte à passer 24 siècles plus tard pour un Grand benêt à peine trop nerveux. Un benêt ou
un psychopathe qui n’a pas pris ses gouttes. Mais y avait-il seulement des gouttes en
ces temps reculés ?
Ne soyons pas injustes par omission. D’autres légendes racontent qu’Alexandre avait
réussi à dénouer le nœud gordien (3). Mais le connaissant impulsif comme je le
connais je peine à croire en cette version. D’ailleurs observez le nœud : le o et le e
sont toujours indûment liés.
L’enjeu était de taille car l’oracle avait été formel : celui qui dénouerait le nœud
règnerait sur l’Asie qui était loin d’être Mineure à cette époque.
Nos nœuds d’aujourd’hui n’ont pas la taille ni le port altier des nœuds d’autrefois (4).
Beaucoup sont riquiquis et ratatinés. Peut-être d’avoir trop vécu ils font plus pitié
qu’envie. Est-ce une raison pour les regarder de haut et ne pas les trancher comme
au bout vieux temps ?
Heureusement, un sursaut d’énergie agite notre pays et aujourd’hui -Dieu soit loué !-
beaucoup s’en saisissent et le tranchent.
Soyons reconnaissants et allons voter.
Notes pour éclairer ce texte :
(1)- Le nœud gordien raconte une situation piégeuse qui n’offre pas d’issue autre
qu’une intervention brutale et destructrice. On appelle un chat un chat mais si on
appelle ce nœud « gordien » c’est parce que c’est dans la riante cité de caractère de
Gordion en Anatolie qu’il a pris l’importance que l’on sait. Aujourd’hui après quelques
remaniements géopolitiques Gordion s’appelle Yassihüyük. On bénit le ciel chaque
jour un peu plus que l’histoire du nœud date du temps de Midas, roi de Phrygie car si
elle datait de la semaine dernière le nœud eut été non point gordien mais
yassihüyükien. L’histoire eut été inracontable et elle aurait fini dans la benne à huiles
usées d’un Midas de banlieue.
(2)- Il est question d’un paysan phrygien pauvre et sans bonnet qui avait deux paires
de bœufs. Ce qui pour l’époque n’est déjà pas si mal, mais les gens se plaignent
toujours. Un jour un aigle se pose sur le joug de ses bœufs et refuse d’aller voir
ailleurs si j’y suis. Notre paysan est troublé. Il va consulter l’oracle à Telmessos en
Lycie où les oracles ont bonne réputation, ce qui n’empêche qu’il est prudent de
vérifier la qualité de leurs diplômes. Mais en chemin il rencontre une jeune femme qui
l’aborde et l’épouse. Et c’est à partir de là que je n’ai pas tout compris…
(3)- Cette autre version reste improbable. Il faut savoir qu’un nœud gordien -selon
Plutarque- était un nœud végétal et végan en écorce de cornouilles. Bien sûr un
« nœud en cornouille » requiert une élocution déliée et expose à se gratter la tête.
Mais ça n’est pas mon propos. Un tel nœud « sans commencement ni fin » a quand
même un milieu entre les deux et l’on imagine mal qu’Alexandre, si Grand fût-il, ait
réussi ce prodige. Il était Grand, chaussait du 48 et avait de gros doigts boudinés qui
ne se prêtaient sûr pas à des travaux manuels tout en délicatesse. J’ajouterai à titre
personnel que ça n’est pas parce qu’on raconte une légende qu’il faut prendre son
auditoire pour des cons.
(4)- Nos nœuds partent en … eau de boudin. On peut le regretter bien sûr mais c’est
ainsi. Sans être un spécialiste je crois savoir que ni le changement climatique ni les
perturbateurs endocriniens ne sont en cause. Par contre les sites pornographiques
où l’on accède en trois clics et aucune claque feraient bien de se regarder dans le
glace au lieu de passer leur chemin en sifflotant.