Rubrique. Grands Mots Grands Remèdes : Grosse fatigue !

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Docteur Gérard Bouvier
Docteur Gérard Bouvier

Depuis un compte de temps la Marie-Madeleine n’a plus la frite… (1)
« -Dites ! Vous trouvez pas que j’ai p’tite mine ? Je sais pas ce qui m’arrive mais depuis que je suis allée manger le gâteau de ménage chez la Maryse au Raymond je suis flapie… (2) Je suis claquée, vannée et j’ai plus d’idée… C’est bien simple : j’peux plus arquer ! (3) Ça me fait comme un coup de vieux… vous-y croyez pas. Faut dire que j’ai été jusqu’à chez eux pedibus-jambus (4) et sous le rabasse, un fait exprès ! Ça fait une trotte… C’est peut-être ça qui m’a rincé… À l’arrivée c’est pas pour dire mais j’en avais plein les pattes. »
– Marie-Madeleine, c’est ce temps de chien qui déteint sur nous !
« -N’empêche : je suis toute Mon Dieu, Mon Dieu et complètement à plat ! Vous avez déjà vu une chose pareille vous qui avez couru le monde ? Dans l’temps je m’disais : ça ira mieux demain ! Et pis pardi et bin le lendemain ça allait ni plus mieux ni plus mal mais je faisais avec.
J’en ai touché deux mots à mon docteur. Quand je lui ai dit que j’avais plus de jus et que j’étais sur les rotules tout ce qu’il a trouvé à me dire, ce grand baluchon (5), c’est que je faisais de l’asthénie. Dites ! Ça me fait une belle jambe. Toute façon, les docteurs quand ils savent pas, c’est toujours les virus !
Ma mère elle disait : quand ça veut pas, ça veut pas ! D’accord ! Mais quand même à ce point-là, je commence à me faire du mauvais sang. Vous savez on a tôt fait de se faire des idées : manquerait plus que je vienne à caner avant d’avoir fini ma pâte de coings.
Alors, dès que j’ai touché ma retraite, je suis allée m’acquitter de mon loyer. On sait jamais ce qui peut arriver quand on commence à battre de l’aile… et chez les Bailly-Salins on n’a jamais aimé devoir aux gens.
Faut-il qu’on soit au bout du rouleau pour disposer de tant d’expressions pour évoquer notre fatigue (6).

Notes pouvant être utiles pour la lisibilité de ce texte.

(1)- Ne pas avoir la frite : cette locution familière n’est pas d’origine belge. Bien au contraire ! En argot, au XIXème, le fricot était la nourriture et fricoter c’était faire bombance et donc prendre des forces. Aussitôt perdues si vous prenait l’idée de fricoter avec votre bergère. La nourriture est une source d’énergie et l’on retrouve aussi : avoir la pêche, avoir la banane, avoir la patate. Cette dernière étant l’ancêtre de la frite, non découpée et n’ayant pas encore subi la friture.

(2)- Être flapi viendrait du verbe franco-provençal du XVème siècle flapir qui signifiait amollir. Ainsi l’on retrouve, en 1486, flappye au sens d’abattue. En latin du moyen-âge faluppa était un brin de paille, autant dire rien de bien robuste ni vigoureux.

(3)- Dans nos dialectes anciens et particulièrement en Comté arquer c’est marcher car nos enjambées sont assimilées à des courbes gracieuses en forme d’arc. C’est valable même si vous n’avez pas les jambes arquées.

(4)- Pedibus-jambus est une locution vieillotte qui illustre le style macaronique. C’est ainsi qu’on appelle le parler un peu nouillotte qui mélange français et latin de contrefaçon bon marché voire même gratuit. Ce style littéraire a été créé par Teofilo Folengo un poète burlesque italien du XVIème siècle. À 16 ans il entre chez les Bénédictins. À 20 ans, il séduit une belle italienne, quitte le couvent. Il se retrouve en prison puis à la rue où il gagne sa pitance en récitant des vers.
Le style macaronique a très vite trouvé son public car il était plaisant en utilisant un latin de cuisine de tourner les érudits en dérision, de moquer les serviteurs de l’Église et de critiquer les Universités.
Même Molière s’y est attelé dans Le Malade Imaginaire : “Clysterium donare, postea seignare, ensuita purgare.” Que chacun pourra traduire librement à condition de laisser ensuite cet endroit aussi propre que vous l’avez trouvé en entrant.

(5)- Un grand baluchon et son féminin une grosse baluche dérivent du ballot de la fin du XVIIème qui désigne un sac de colporteur avant de devenir un paquet d’effets personnels qu’il faudra bien déballer un jour. En attendant -c’est ballot- mais il reste planté là sans faire preuve de beaucoup d’esprit.

(6)- Être au bout du rouleau peut être bien délicat dans certaines situations. Restent les mouchoirs en papier.