Chaque soir, je sors rescapé du Journal de 20 heures, en étant médusé. Gaza, les inondations en Espagne, Samuel Paty, les élections américaines, l’omniprésence de la drogue, la tenue de notre Assemblée nationale… Et toujours j’enrage de savoir que ce Journal reste autorisé aux plus jeunes.
« Médusé », frappé de stupeur, tire son étymologie de la mythologie grecque. L’histoire est compliquée surtout lorsque, comme dans cette rubrique, on ne dispose ni de la VAR (2) ni du replay. Essayons…
Méduse avait deux sœurs mais -coup du sort- elle était la seule à être mortelle. Ce qui lui plombait le moral. Aujourd’hui il n’y a plus guère d’immortels (3), la mort est banale au point qu’on imagine mal le dépit de Méduse causé par cet injuste statut.
Mais il n’y avait pas que du mauvais, tant s’en faut. Méduse était d’une beauté unanimement reconnue. Carrément de la joliesse (4) si le mot n’était un peu désuet. En même temps, nous évoquons ici l’antiquité grecque. Méduse était grosso modo, genre ma prof d’anglais de cinquième pour ceux qui aiment les descriptions détaillées.
Hélas, comme 67,5% des très belles jeunes femmes, elle la ramenait un peu. Elle prétendit un jour que sa beauté valait bien celle de la déesse Athéna. C’était gonflé et Athéna en fit un caca nerveux. J’aurais fait pareil. La déesse usa de ses pouvoirs pour transformer la chevelure de Méduse en un panier de crabe plein de serpents belliqueux.(5) Pour faire bonne mesure elle donna à ses yeux le pouvoir de transformer en pierre quiconque croiserait son regard. Voilà Méduse habillée pour l’hiver ! Autant dire qu’il ne fallait plus espérer aller drâler (6) le quéquet en sortant des 3×8. De la puissance de ce regard pétrifiant, funeste et sans espoir de retour que nous vient l’expression « être médusé ».
C’est Persée qui mit fin à son burn-out en la décapitant sèchement avec les armes que lui avaient offert Athéna, une rancuneuse de première. (7)
Notes pour éclairer à jour frisant les incertitudes du texte :
(1)- La VAR en football (assistance vidéo à l’arbitrage) est un mécanisme qui de façon ingénieuse a déplacé le problème : jadis on critiquait les décisions de l’arbitre, aujourd’hui on critique la VAR. Mais elle autorise des interruptions de jeu durables qui permettent l’éructation des chants homophobes. Qui seront bientôt punis. On nous le promet. Depuis deux décennies.
(2)- Il y a quand même 40 immortels à l’Académie française que fonda Richelieu en 1634. Mais certains semblent bien fatigués ce qui montre que l’Immortalité n’est pas de tout repos.
(3)- Ça n’est pas qu’on soit devenus tous moches, rassurez-vous, mais c’est l’évolution de la langue française qui fait que les mots construits sur « joli » ont été écrasés aux XVème siècle par ceux construits sur « beau ». Finie la joliesse, bonjour la beauté. On y a perdu l’adverbe jolivement, les noms jolité et joliveté, l’adjectif joliet. La langue évolue… Mais on a gagné jojo en 1852, surtout utilisé dans sa forme négative c’est pas jojo et depuis les années 60, l’affreux jojo. Geogeo si tu me lis, ça n’est pas à toi que je pense…
(4)- Aujourd’hui les femmes qui traversent des désaccords profonds se crêpent le chignon. Mais il fut un temps, pas si éloigné, où les déesses quand elles se prenaient la tête, transformaient la chevelure de la partie adverse en bouquets de féroces serpents. Chaque génération a eu ses petites habitudes plus ou moins vivaces.
(5)- En Comtois « draler » c’est flâner en quête d’aventure(s). Dans l’usage, le verbe s’applique plutôt aux damoiselles qu’aux damoiseaux sans qu’on sache pourquoi. L’étymologie est obscure mais bien des savants rapprochent ce mot de draya, qui désignait dans le Dauphiné un sentier au XIVème siècle. L’idée de battre la campagne pour faire des rencontres est très antérieure à l’usage de Tinder mais recouvre des attentes superposables. Si l’on ose dire…
(6)- Persée n’avait rien contre Méduse mais il était en mission. Le roi Polydecte menaçait d’épouser sa mère Danaé s’il échouait à tuer Méduse. Pour des raisons obscures (enquête en cours) Persée ne voulait pas devenir le gendre par effraction de Polydecte. Aidé par Athéna qui trainait une vieille rancœur, il réussi à trancher la tête de la Méduse sans même la regarder, évitant ainsi l’inconfort d’être transformé en statue de pierre. Le judicieux mécanisme utilisant pour la manœuvre le reflet de la future décapitée dans son bouclier fit de Persée le précurseur du rétroviseur qui bien plus tard sauva tant de vies.