Rubrique. Grands Mots Grands Remèdes : Phobie

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Docteur Gérard Bouvier
Docteur Gérard Bouvier

Était-ce le solstice ? La Marie-Madeleine habituellement si pimpante me semblait bien terne ce 21 juin. Elle que j’avais toujours connue bon pied bon œil paraissait aujourd’hui au trente sixième dessous (1). J’avais bien essayé de lui tailler une bavette dans l’idée de lui tirer les vers du nez mais j’avais fait chou blanc (2).
Je me triturais les méninges.
Je savais bien qu’elle n’était plus de première jeunesse et qu’elle avait commencé à sucrer les fraises depuis qu’elle était à couteaux tirés avec son neveu. Il l’avait mise dans la panade en lui faisant prendre des vessies pour des lanternes. Mais de là à se donner des airs de bientôt casser sa pipe.
– Ça n’a pas l’air d’aller fort, Marie-Madeleine !
– Pensez-vous ! On le serait à moins ! C’est depuis cette fichue émission. Voilà-t-y pas que j’ai pris les chocottes de devenir phobique (3). Je ne pense plus qu’à ça ! J’ai peur qu’une phobie me tombe sur le nez et que je puisse plus m’en débarrasser.
Manquerait plus ! Ils ont dit que ça pouvait arriver à tout âge. Ils ont donné des noms qui font froid dans le dos : claustrophobie, nosophobie, pédophilie, grossophobie… J’ai pas tout retenu, pis j’avais pas pris mon ardoise pour noter. Toute façon, j’ai perdu ma craie… . Mais ça fait peur, savez !
Avoir trimé toute sa vie et devenir phobique à mon âge ! Je crois que j’aurais préféré le diabète ou la varicelle. Enfin ! On ne choisit pas…
Le Roger, lui c’est pas mieux. Il fait de l’apopathodiaphulatophobie (4). Vous n’y croyez pas. Un homme qui a travaillé toute sa vie dans les Ponts et Chaussés ! C’est la peur d’être constipé à ce qui parait. Faut l’faire. Depuis qui m’a dit ça je me suis mise aux pruneaux. C’est un remède de bonne femme… Je fais tremper trois pruneaux le soir dans un grand verre d’eau du robinet et le matin, hardi petit, je mange mes trois pruneaux (5). Depuis je suis réglée comme du papier à musique.
Remarquez avant c’était pareil : on n’est pas constipé de famille par chez nous.


Notes pour se faire une idée plus précise :

(1)- Si vous souhaitez rendre visite à un ami au trente sixième dessous, dirigez-vous d’abord sans bruits de gorge excessifs vers le septième ciel. À peine arrivé faites un tour sur vous-même à 180° et avancez résolument vers le bas pendant -au moins- un bon moment. Vous voilà arrivé au trente sixième dessous. Inutile de vous mettre sur votre trente et un, venez comme vous êtes.
Cette expression date du XIXème siècle. Déjà à l’époque on avait une tendance à l’exagération. Car cette expression ne fait pas référence à la trente sixième culotte de la pile mais de façon exagérément théâtrale aux sous-sols de nos opéras ou de nos théâtres. Ainsi l’Opéra-Bastille, modèle du genre, dispose de 25 mètres sous la scène et de six sous-sols où s’activent les machinistes.
Lorsque le spectacle était mauvais les acteurs qui souhaitent se soustraire aux quolibets se réfugiaient -dit la légende- le plus loin possible de la foule déçue et donc dans les plus profonds sous-sol. Mais il n’y en avait pas plus de six et beaucoup moins en province.

(2)- La bavette d’aloyau est la pièce de boucherie en dessous de le hampe et en arrière du flanchet. Il est important de le préciser puisque l’expression « tailler la bavette » n’a aucun rapport avec la boucherie et doit donc d’emblée être écartée.
La bavette dont il est question dans cette expression de la deuxième moitié du XVIIème vient de la bave qui, deux siècles plus tôt, désignait le babil des nourrissons avant de s’étendre aux conciliabules et palabres des adultes.

(3)- Il y a tant de façon d’avoir peur ! On peut avoir la trouille, ou on peut avoir les grelots, ou les jetons ou la frousse. Si les chocottes sont familièrement les dents avoir les chocottes c’est avoir les dents qui se choquent quand la peur fait trembler la denture.

(4)- L’apopathodiaphulatophobe souffre d’une peur irrationnelle de ne pas déféquer à la meilleure et plaisante fréquence qui soit. La difficulté vient de ce que cette fréquence optimale ne fait pas l’objet d’un consensus parmi les experts de la chose.
Pire ! L’apopathodiaphulatophobe complique parfois son cas par une autre crainte. Il lui arrive de reconnaitre une fréquence satisfaisante, certes, mais hélas ! avec un déféquat incomplet laissant un reliquat encombrant.
C’est pas que j’vais pas, mais c’est que je me vide pas toute disait la Germaine avant d’être instruite de la recette des pruneaux par la Marie-Madeleine.

(5)- Le plus souvent trois pruneaux suffisent. En cas de résultat insuffisant augmenter d’un pruneau par semaine jusqu’à obtenir le résultat espéré. En cas d’échec à la douzaine de pruneaux il est préférable de consulter son médecin traitant si l’on en trouve un.